La Gloire Et Les Périls
trouvant céans le seul à le savoir bien faire. Elle m’assura toutefois
qu’elle m’enverrait quelqu’un qui me donnerait satisfaction.
Une fois dans ma chambre, je noulus attendre le valet
qu’elle m’allait dépêcher et ne craignis pas moi-même d’ajouter bûche sur bûche
de mes propres mains pour me faire un feu flambant. Puis l’idée me vint de
retirer moi-même mes bottes, qui étaient pleines d’eau et d’eau froidureuse, et
j’exécutai l’opération avec une facilité qui m’étonna d’autant plus que je ne
m’y étais jamais essayé.
Je me dis alors que, sauf à un gentilhomme pour se boucler
dans sa cuirasse, ou pour une dame pour lacer par-derrière la basquine qui doit
rehausser ses tétins, l’aide d’un écuyer pour le premier, ou d’une chambrière
pour la seconde, était, en fait, de nulle nécessité. Poussant plus loin une
pensée dont je ne m’étais jamais avisé à ce jour (l’habitude nous aveuglant sur
le sens des choses), force forcée me fut de conclure que ces services-là ne
sont requis que pour établir notre rang. De reste, ne juge-t-on pas de
l’importance d’une maison par le nombre de son domestique ?
Me laissant aller alors à mes remembrances, je m’attendrézis
au spectacle que m’avait donné en mes maillots et enfances la duchesse de Guise
à sa toilette, quand elle me permettait d’y assister. J’en ai fait le compte un
jour : elle n’exigeait pas moins de huit chambrières pour la seconder dans
sa tâche. La première tenait les épingles qu’elle passait une à une à la
coiffeuse, l’autre tendait tour à tour le peautre et la céruse pour le
pimplochement de la face, la quatrième portait le fer à friser pour transformer
les cheveux de la frange en folles bouclettes, la cinquième portait la boîte
aux mouches et procédait à leur mise en place sur le visage, la sixième qui
était la curatrice aux pieds de Son Altesse (et pour cette raison que l’on
distinguait à peine) coupait les ongles des pieds, la septième passait un
onguent adoucissant sur les mains ducales, la huitième et dernière attendait, pour
présenter les bijoux, que frisure, pimplochement et autres soins fussent
terminés.
Comme j’achevais cette étonnante prouesse de me déshabiller
seul comme le dernier de mes manants, on toqua à l’huis, et moi, croyant que
c’était là le valet que l’intendante m’avait promis de me dépêcher, j’allai
ouvrir, nu en ma natureté et me trouvai au bec à bec avec Perrette, l’œil bleu,
le cheveu blond, la face fraîchelette, et pour le reste, si bien nantie par la
nature.
— Mais Perrette, dis-je béant, que fais-tu là ?
— Eh quoi. Monsieur le Comte, dit-elle avec reproche,
vous voilà tout déshabillé et tout seul ? – étant, à ce qui
m’apparut, bien moins choquée par ma nudité que par mon déprisement des droits
qui convenaient à mon rang.
— Que diantre ! dis-je, étonné assez d’avoir à
excuser ma conduite à une chambrière, je gelais dans ma vêture mouillée et mes
bottes crachaient l’eau ! J’allais attraper la mort !
— Mille excuses, Monsieur le Comte, de mon retardement,
dit Perrette, mais toute la maison est dans le sens dessus dessous. Les valets
courent de tous côtés pour boucher les fuites tant est que Madame de Bazimont,
pour ce soir, a cru bien faire en dérogeant à vos principes, Monsieur le Comte,
et en vous dépêchant une chambrière pour vous déshabiller.
Je ne doutai pas que Perrette ne me répétât mot pour mot la
phrase de Madame de Bazimont, car « déroger à mes principes » n’était
pas dans son vocabulaire, encore qu’elle parlât fort bien le français pour
s’être frottée dès sa prime jeunesse à des dames de bon lieu, dont elle avait
appris à la fois la langue, les usages et les préjugés.
— Monsieur le Comte, vous êtes encore tout mouillé,
dit-elle, si vous voulez bien me permettre, je vais vous bichonner devant le
feu.
Ce qu’elle fit avec une adresse et une vigueur qui me
comblèrent. Je lui en fis compliment et elle me dit :
— Et pourtant, Monsieur le Comte, ma petite personne
vous ragoûte si peu que vous m’avez renvoyée de votre emploi au nom de vos
principes.
— Au diantre les principes ! La vérité, Perrette,
je vais te la dire. Je n’ai pas voulu de toi comme chambrière parce que, tout
le rebours, tu me ragoûtais trop.
Elle s’immobilisa, le bichon au bout de son bras et
m’envisagea, son œil
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