La Gloire Et Les Périls
le premier coup de canon contre celui de vos forts, Sire,
qui porte votre nom. Avant que de laisser tirer ce coup de canon fatal, Madame
de Rohan n’eût-elle pas dû penser aux femmes et aux enfants de La Rochelle
qu’elle allait exposer pendant des mois aux pires pâtiments ? Et meshui, quand
elle ose vous prier de laisser sortir de ses murs les mêmes femmes et les mêmes
enfants, est-ce véritablement au nom de la charité chrétienne qu’elle parle ou
ne veut-elle pas plutôt débarrasser La Rochelle des bouches inutiles et
obtenir, grâce à vous, un avantage dont la conséquence sera de prolonger le
siège indéfiniment ?
— Mon cousin, dit le roi, vous opinez donc qu’il faut
refuser tout à plein et tout à plat la prière de Madame de Rohan ?
— Nenni, nenni, Sire, ni tout à plein ni tout à plat.
Le roi votre père disait souvent qu’on obtenait plus de choses avec une
cuillerée de miel qu’avec une tonne de vinaigre.
— Et où allons-nous prendre le miel, mon cousin, si
nous repoussons la prière de la dame ?
— Oh Sire, cela va de soi ! Nous lui dirons que les
lois de la guerre nous interdisent de laisser sortir de La Rochelle les bouches
inutiles. Mais en revanche, nous sommes prêts, si elle le désire, à lui donner
un sauf-conduit afin de lui permettre de saillir de ce siège et de se retirer
librement dans le château de son choix.
— Diantre ! Diantre ! Mon cousin ! dit
le roi. Voilà qui est fort ! Et croyez-vous, ajouta-t-il d’un air
dubitatif, que la duchesse de Rohan acceptera cette proposition ?
— En aucun cas, Sire. La dame est haute. Elle se veut
la vestale de La Rochelle. Elle ne voudra pas renier son rôle historique. Mais
elle fera connaître partout votre proposition généreuse, ne serait-ce que pour
qu’on lui reconnaisse le mérite de l’avoir refusée. Et de ce fait, personne ne
pourra dire à La Rochelle que vous êtes impiteux. Son refus fera oublier le
vôtre.
— Sioac, dit Louis, qu’es-tu apensé de ce
plan ?
— Qu’il est excellent, Sire.
— Accepterais-tu de porter le message à Madame de
Rohan ?
— Certainement, Sire, pour peu que vous m’en donniez
l’ordre.
— Je te l’ordonne. Et voici comment nous allons
procéder, dit Louis d’un ton rapide et expéditif. Le chancelier Marillac va
écrire au maire de La Rochelle et à son corps de ville pour lui demander
l’entrant pour toi et pour ton écuyer, afin que tu puisses porter de ma part à
la duchesse de Rohan un message oral.
— Un message oral, Sire ?
— Oui-da. Si c’était une lettre, le corps de ville et
le maire seraient peut-être tentés de l’intercepter. Je ne sais, à vrai dire,
s’ils oseraient te fouiller, mais dans tous les cas, si le message est oral,
ils ne pourront pas lire dans tes mérangeoises.
— Il se peut, cependant, qu’ils m’interrogent sur la
teneur de ce message.
— Tu répondras qu’à ta connaissance c’est un message
d’affection et de compassion que j’adresse à ma cousine de Rohan et que
d’ailleurs la duchesse sera libre de révéler sa teneur au corps de ville, si
elle le trouve bon.
*
* *
Comme nous regagnions Saint-Jean-des-Sables, Nicolas et moi,
il survint un événement d’autant plus surprenant qu’il fut précédé par une
amélioration subite du temps. L’amoncellement de nuages noirs qui formait
depuis des semaines sur nos têtes une sorte de coupole, qui nous dérobait la
vue du soleil et nous condamnait à vivre dans un éternel crépuscule, disparut
tout d’un coup alors que nous étions entre chien et loup, chassé sans doute par
un vent violent, mais soufflant sans doute trop haut dans le ciel pour que nous
en sentions sur terre les effets. Presque en même temps et comme pour nous
combler d’aise, apparut, éclairant le ciel serein, une lune excessivement
lumineuse qui nous parut, à tort ou à raison, beaucoup plus grosse et plus
proche qu’à l’accoutumée.
Nicolas et moi bridâmes aussitôt nos chevaux pour la mieux
contempler dans son extraordinaire beauté, et finalement, émus et surpris comme
nous par ce spectacle d’une majesté quasi surnaturelle, ce fut tout le charroi,
de part et d’autre du chemin creux de la circonvallation, qui s’immobilisa, les
cochers, les cavaliers et les piétons n’ayant d’yeux que pour cette lune si
ronde, si belle et qui répandait une telle clarté qu’on eût pu lire un livre
aussi aisément qu’en plein jour.
Mais ce
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