La Gloire Et Les Périls
seconde par mille émeuvements qui se lisaient à livre
ouvert sur un visage aussi mobile et expressif que celui d’un comédien :
caractéristique très étonnante chez un diplomate, dont on se serait attendu
qu’il gardât en toute circonstance une face imperscrutable. Cependant, loin de
nuire à Monseigneur Zorzi, cette humeur primesautière le servait au rebours
fort bien, car elle lui donnait une apparence naïve et bon enfant qui prévenait
tant en sa faveur qu’il fallait se retenir pour ne lui point faire des
confidences que la prudence eût condamnées.
De toute évidence, le nonce attendait une audience royale,
et en voyant apparaître Richelieu, sembla fort désolé, craignant sans doute que
les grandes affaires dont Son Éminence avait à parler n’allassent passer avant
les siennes. Cependant Berlinghen, survenant du pas rapide et important qui
était le sien quand il portait un message du roi, vint s’incliner devant
Monseigneur Zorzi, et lui dit que Sa Majesté l’allait recevoir incontinent dans
son cabinet. Zorzi, alors, se rasséréna, puis en un éclair se déconsola
derechef, soupçonnant que Louis l’allait expédier en un tournemain, tant, sans
doute, il était impatient, dans le prédicament qui était le sien, de
s’entretenir avec Richelieu. Mais les émeuvements et changements de visage du
nonce ne s’arrêtèrent pas là, et en départant, il eut l’air de nouveau
satisfait, pensant sans doute qu’en restant dans la grande salle, à l’issue de
son audience, il pourrait voir le cardinal à l’issue de la sienne, et juger à
son air s’il était vraiment en disgrâce, comme le bruit en avait délicieusement
couru.
Comme Zorzi l’avait deviné, son audience ne fut pas longue,
et dès qu’il retourna dans la salle, sans aucun désir de la quitter, Berlinghen
nous appela auprès du roi, lequel nous reçut dans un petit cabinet où dans la
cheminée une belle flamme flambait qui nous conforta grandement après le long
voyage en carrosse, lequel fut fort froidureux, malgré les chaufferettes sur
lesquelles nos pieds avaient reposé.
Louis, la face sereine et quasi enjouée, nous reçut avec la
courtoisie qui était la sienne, quand il n’était pas dans ses humeurs et ses
soupçons, et me questionna tout de gob sur ma visite à Madame de Rohan. Je lui
en dis ma râtelée, mais aussi brève que je pus, insistant en ce qui regardait
les femmes et les enfants sur le fait que les Rochelais eussent dû bien songer
à la détresse et famine qui seraient leur lot avant de tirer contre nous le
premier coup de canon du siège. Louis parut fort satisfait que j’eusse mis sur
le compte des huguenots une responsabilité qu’ils voulaient lui faire endosser
en le dénonçant urbi et orbi comme un souverain impiteux, ce que
assurément il n’était pas, ayant toujours octroyé des conditions fort douces
aux villes rebelles qui se rendaient à lui.
Il ne s’offensa en aucune façon que la duchesse eût tout de
gob refusé le sauf-conduit royal qui lui eût permis de saillir hors les murs de
La Rochelle pour s’établir dans le château de son choix. En fait, il s’en étonna
si peu que cela me donna à penser qu’il ne lui avait fait cette offre que pour
montrer une générosité que les huguenots tâchaient dans le même temps de
remettre en question.
— Adonc, dit-il, ma bonne cousine de Rohan demeure
héroïquement en son poste, tant elle aspire à passer pour la nouvelle Jeanne
d’Arc ! Elle oublie que Jeanne d’Arc, l’épée au poing, combattait pour son
roi et non pas contre lui ! Raison pour laquelle je doute que Madame de
Rohan passe jamais dans l’Histoire. Eh bien ! Mon cousin ! dit-il en
se tournant vers le cardinal, si nous parlions de nos affaires ?
— Sire, dis-je, priant ardemment en mon for pour que Sa
Majesté repoussât ma requête, peux-je quérir de vous mon congé ?
— Demeurez, Sioac, dit Louis, vous faites partie
de mon Conseil et vous pouvez m’être utile céans en cette capacité.
Il y eut alors un assez long silence et un échange de
regards entre le roi et son ministre. Ces regards étaient riches en nuances
contradictoires, Louis étant à la fois le maître et l’élève de Richelieu, et
celui-ci étant, tout ensemble, son magister et son sujet. Comment
s’étonner dès lors si cette situation paradoxale fit naître entre eux des
différends et parfois même des disputes ? Tant est que ces querelles
eussent à la longue abouti
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