La Gloire Et Les Périls
heureux.
— Vous avez donc tout lieu de l’être, d’Orbieu, dit
Richelieu, mi-figue mi-raisin.
Là-dessus, de façon peu épiscopale, il étendit ses jambes
bottées devant lui, posa les pieds sur sa chaufferette puis, se rencognant
commodément, il laissa tomber sa tête sur sa poitrine et ferma les yeux. Ce qui
ne voulait pas dire qu’il allait s’ensommeiller, mais qu’il mettait fin à notre
bec à bec, ayant encore beaucoup à disputer et à décider en son for avant
d’atteindre Surgères.
J’avais calculé sur ma carte que cinq lieues séparaient
Surgères de la côte, mais je n’avais pas tenu compte des sinuosités de la route
et, en réalité, il nous fallut trois bonnes heures pour atteindre le bourg et
voir se dresser devant nous les remparts de son imposant château. Il me parut
fort vaste et en fort bon état, trois siècles s’étant effeuillés sur lui sans
qu’il perdît pierre ou tuile. À peine eût-on pu dire que le temps l’avait
quelque peu patiné, mais sans aucune de ces traînées noirâtres qui parfois
déshonorent nos anciens bâtiments et leur donnent un aspect mélancolique. Le
château de Surgères, quoiqu’il me parût, en tant que citadelle, inexpugnable
(pour peu que les occupants fussent bien garnis en armes et en viandes), avait,
malgré ses vastes dimensions et son aspect guerrier, un air pimpant et
accueillant, lequel était dû au parc, à ses belles allées, à ses haies et à une
haute futaie de châtaigniers et de noyers séculaires. À les voir, j’entendis
pourquoi ce lieu, si bien abrité des vents de l’Aunis par l’arbre et par la
pierre, avait pu attirer le roi.
Il va sans dire que Sa Majesté était à Surgères fort bien
protégée de ses sujets protestants, non seulement par les nombreuses tours et
les hautes murailles crénelées du château, mais aussi par de forts détachements
des gardes françaises, des gardes suisses et des mousquetaires du roi,
lesquels, tour à tour, arrêtèrent notre carrosse avec le plus grand respect
pour acertainer la qualité de ses occupants, comme si aucun des trois corps ne
se pouvait fier au zèle et à la vigilance de ceux qui les avaient précédés dans
cette inspection.
La garde du dehors , comme on les appelait à la Cour
(confondant d’un mot ces corps qui se voulaient si distincts), nous arrêta, une
quatrième et dernière fois devant la première poterne du château. Je ne devrais
pas dire « nous arrêta », car les chevaux du cardinal étaient si
habitués à ces manèges qu’à la vue d’un uniforme, quel qu’il fut – et ils
étaient tous les trois différents –, ils s’immobilisaient d’eux-mêmes. Et
d’eux-mêmes aussi (bien que notre cocher chamarré eût à coup sûr un sentiment
contraire) ils passèrent au pas le pont-levis et la poterne d’entrée, et une
fois dans la cour d’honneur, en firent majestueusement le tour au petit trot
avant de s’arrêter devant la grande salle du rez-de-chaussée.
À ce moment-là, une partie de la garde du dedans saillit des portes et s’aligna devant nous pour nous saluer, et non pas pour
nous inspecter, ayant été prévenus de notre advenue par des roulements de
tambour repris de proche en proche jusqu’à la première poterne.
En pénétrant dans la grande salle, je ne vis d’autre visage
que celui du nonce Zorzi. Il se leva à notre approche, et les deux
cardinaux – le ministre d’un grand roi et l’ambassadeur du pape –
allèrent à l’encontre l’un de l’autre d’un pas mesuré (car tout empressement
eût avoué, de la part de l’empressé, que l’autre avait le pas sur lui), se
saluèrent avec un respect mutuel et une apparente amitié, le nonce tenant en
son for Richelieu pour gallican et anti-espagnol, et Richelieu gardant, autant
que Louis, une fort mauvaise dent au pape pour l’appui qu’il avait apporté aux
Habsbourg d’Espagne dans l’affaire de la Valteline.
Zorzi était accompagné de Fogacer, lequel, pendant les
salutations cardinalices, me caressa affectueusement de l’œil, mais très à la
discrétion, et, après les salutations, se retira avec son maître sur des sièges
qui faisaient face à ceux où Richelieu et moi avions pris place. De cette
façon, chacune des deux parties pouvait observer l’autre sans avoir l’air d’y
toucher.
Noir de cheveu et brun de peau, Monseigneur Zorzi était un
Italien aimable et savant, mais aussi fort nerveux, impatient, passionné,
traversé de seconde en
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