Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Gloire Et Les Périls

La Gloire Et Les Périls

Titel: La Gloire Et Les Périls Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
Vom Netzwerk:
cardinal, à mon advenue, fut bref en son discours et une
fois dans la cahotante carrosse qui nous emmenait à Surgères, il se tint clos
et coi, mais sans pour autant prier. Non qu’il manquât à la piété qui convenait
à sa robe, mais il avait requis et reçu du pape une rarissime dispense :
il n’avait pas, comme on sait, à lire quotidiennement son bréviaire, lequel eût
consumé chaque jour une heure de son temps.
    Dans mon coin, je me tenais aussi quiet que souris dans son
trou. Toutefois je ne laissai pas de jeter quand et quand un œil à mon illustre
compagnon, dont le profil immobile se détachait avec tant de relief sur la
vitre de la carrosse. Richelieu avait alors quarante-deux ans, âge auquel on
est accoutumé dans ce pays à vous considérer comme un barbon. Mais ce barbon-là
n’allait pas sans vigueur. Il avait le front grand, le cheveu rejeté en
arrière, couvrant des deux côtés les oreilles mais, sur la nuque, n’allant pas
plus bas que le cou, alors que chez le roi la chevelure descendait en larges
boucles plus bas que les épaules. L’œil était beau, vif, parlant, très enfoncé
dans les arcades, le nez long et bossué en son milieu, les pommettes
saillantes, les joues creuses, le menton avancé en proue, qu’une petite
moustache et une barbiche faisaient paraître triangulaire. La calotte
cardinalice était très rejetée en arrière sur le crâne, ce qui donnait à penser
qu’elle devait être fixée par des attaches discrètes, car personne ne l’avait
jamais vue arrachée du chef par les bourrasques de l’Aunis. Le cardinal, pour
parcourir le camp, portait cuirasse, haut-de-chausses et hautes bottes.
Cependant, pour se rendre chez le roi à Surgères qui était à cinq lieues du
camp, il ne portait ni cuirasse ni épée, mais toutefois demeurait fidèle aux
hautes bottes, si nécessaires en ce pays boueux. Faut-il le dire ? Il n’y
avait ni dans ses traits, ni dans l’expression de son visage, la moindre trace
d’onction épiscopale. En revanche, à son front plissé, à ses lèvres serrées, à
sa studieuse immobilité, on sentait la tension d’une réflexion habile à peser
dans de fines balances le pour et le contre d’une situation difficile.
    Il me parut tant clos sur soi que je fus fort béant d’ouïr
sa voix au bout d’une demi-heure de route cahotante et malaisée. À vrai dire,
je n’oserais gager qu’il parlât à moi, s’adressant à ma personne, ou même
attendît de moi une réponse. Mais je ne saurais non plus affirmer qu’il pensât
tout haut, n’étant pas coutumier du fait, et aussi parce qu’il prononça des
paroles d’une humilité qui convenait davantage à sa robe qu’à son personnage.
    — J’étais, dit-il, d’une voix basse et distincte, un
zéro qui signifiait quelque chose quand il y avait un chiffre devant moi, mais
s’il plaît au roi de me mettre seul en tête, je serai le même zéro, mais ne
signifiant rien.
    À ces mots, si amers et si rabaissants, j’entendis bien que
Richelieu n’était pas encore guéri de la navrure que le roi lui avait infligée
en le comparant à un « marmiton » en son absence, et à tort ou à
raison, j’entrepris de verser quelque baume sur cette plaie.
    — Monseigneur, dis-je, me permettez-vous de faire une
remarque qui ne regarde en rien les personnes, mais qui s’inspire de la
mathématique ?
    — Savez-vous donc aussi la mathématique, Monsieur
d’Orbieu ? dit le cardinal, comme surpris d’être dérangé dans ses pensées.
    — Je ne la sais pas aussi bien que Monsieur Descartes,
mais j’en ai appris les éléments en mes vertes années. De reste, ce que j’ai à
dire, Monseigneur, n’est pas très savant.
    — Je vous ois.
    — S’il est vrai qu’un zéro qui n’a pas un chiffre
devant lui ne signifie rien, il est vrai aussi qu’un chiffre qui n’a pas de
zéros derrière lui est un peu maigrelet.
    Là-dessus, un silence tomba qui me parut tant plein de
périls pour moi que je mordis et maudis incontinent ma langue parleresse.
    — Monsieur d’Orbieu, dit enfin Richelieu avec l’ombre
d’un sourire, du moment que votre remarque ne concerne que la mathématique,
elle ne porte ombrage à personne. Toutefois, je n’aimerais pas vous l’ouïr
répéter.
    — La voilà donc mort-née, Monseigneur, et je l’enterre
incontinent dans le tombeau de mes oublis. Mais si, en sa brève vie, elle a pu
vous égayer quelque peu, Monseigneur, j’en serais

Weitere Kostenlose Bücher