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La grande déesse

La grande déesse

Titel: La grande déesse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
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pas de tradition propre à cette Sheela , on peut cependant la retrouver dans les textes gaéliques du haut Moyen Âge, sous l’aspect de la grande reine, la Morrigane en particulier, cette sorte de déesse de l’amour et de la guerre, prototype de la fée Morgane des romans arthuriens, et surtout de la reine Medbh (Maeve) qui, nous assure-t-on, « prodiguait l’amitié de ses cuisses à tout guerrier dont elle avait besoin pour assurer le succès d’une expédition ». C’est le thème bien connu de la vierge (au sens de « disponible ») à laquelle vont se prostituer les jeunes gens pour acquérir connaissance et puissance. C’est cette prostitution sacrée tant de fois dénoncée dans la Bible yahviste parce qu’elle met en valeur le culte de la féminité solaire. La Sheela-na-Gig est donc bien davantage une initiatrice , celle qui fait pénétrer, grâce à son sexe largement ouvert, dans l’antre secret de la connaissance, et qui préside à la seconde naissance, à la renaissance, en absorbant les défunts dans sa matrice divine afin de leur communiquer la chaleur et la vie éternelles. C’est ce qui ressort en tout cas des récits mythologiques celtiques, et cela peut grandement éclairer le mystère des Sheela-na-Gigs .
    La Vénus de Monpazier est certainement de même nature. « La monstrueuse Vénus est une représentation religieuse – la réification de la Génératrice de Vie. Ces parties du corps qui, à nos yeux, paraissent exagérées ou grotesques sont les parties les plus significatives, magiques et sacrées, la source visible et féconde de la continuité du cycle de la vie 23 . » La Déesse donne la vie, et aussi la mort, ainsi que la régénération : on retrouvera cela plus tard dans la pietà chrétienne, pour peu que l’on veuille dépasser le stade de la déploration et comprendre que la Vierge – comme c’est le cas pour certaines représentations en Bretagne – réintègre en elle le corps de son Fils pour lui donner une seconde naissance. Et, peu importe si l’on est choqué par cette affirmation, le sexe ouvert de la Vénus paléolithique, comme celui de la Sheela-na-Gig , est un symbole religieux prouvant une croyance en l’immortalité de l’âme et en la renaissance, ou résurrection, après la mort.
    Du reste, le motif de la vulve semble avoir été fréquent dans l’art préhistorique. À Saint-Léon-sur-Vézère (Dordogne), dans la grotte Blanchard-des-Roches, on a découvert une petite plaque rocheuse gravée de trois vulves schématisées mais bien reconnaissables. En vertu du principe que la partie représente le tout, il n’est pas douteux que ces trois fentes au bas de trois formes vaguement arrondies soient la figuration d’un groupe de trois divinités mères, comme ce sera le cas chez les Grecs avec les trois Parques ou les trois Moires, chez les Gallo-Romains avec les trois Matres, chez les Irlandais avec la « triple » Brigit, et même chez les chrétiens avec la célèbre triade des Saintes-Maries-de-la-Mer (Bouches-du-Rhône). Ici, à Saint-Léon-sur-Vézère, apparaît la tendance à l’abstraction qui prédominera au néolithique, l’allégorie concrète faisant peu à peu place à la schématisation géométrique. L’hypothèse d’André Leroi-Gourhan était « que les formes les plus abstraites dérivent des figures génitales masculines et féminines. Les unes, comme les traits allongés, les tirets, les lignes de points, plus tard les flèches, les poignards et les épées, sont des signes masculins. Les autres, des cercles ou des triangles munis d’un trait vertical, des ovales, des rectangles avec ou sans replis inférieurs, puis des cercles pointés ou concentriques, sont féminins ». La multiplicité de ces exemples prouve que les sculpteurs, les graveurs et les peintres des grottes paléolithiques suivaient tous les règles précises d’un véritable vocabulaire religieux d’ordre symbolique. Et même si l’on ne sait rien de la pensée réelle de ces lointains ancêtres, on peut être assuré que, chez eux, les spéculations métaphysiques et religieuses étaient loin d’être absentes.
    On trouve en effet des figurations de ce genre partout où l’on décèle des traces d’occupation paléolithique. La Corse est particulièrement riche en ce domaine, notamment de petites pierres taillées en forme de statuettes rudimentaires dont la grande majorité offre des caractéristiques féminines. « Les images

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