La grande déesse
recueillies sont de tailles très diverses, et bien que la majorité se situe entre cinq et treize centimètres, il existe dans l’île des Vénus qui atteignent 0,40 mètre à 0,60 mètre – dimensions jamais atteintes dans toutes les découvertes européennes […]. Elles attestent par la spécificité même de leurs représentations, et par l’importance de leur nombre, que le sentiment qui les faisait naître était en Corse un sentiment intense 24 . » À Asco (Haute-Corse) en particulier, on a retrouvé de multiples pierres vaguement triangulaires portant en leur centre la fameuse « blessure » sexuelle. Il en est de même à Niolo, toujours en Haute-Corse.
Il y a également des Vénus plus frustes, mais analogues à celles de Lespugue et de Monpazier. Sur certaines statuettes d’Asco, on reconnaît nettement les formes généreuses des seins, du ventre et des fesses. Il y en a même une, étonnante, en laquelle on peut reconnaître une femme donnant le sein à un enfant, ou le tenant contre elle à la manière des madones chrétiennes. Ce n’est d’ailleurs pas un exemple unique puisqu’on en retrouve sur d’autres sites, notamment à Niolo et à Rocca-Poletra. Sans aucun doute, les artistes se sont inspirés d’un modèle commun, ce qui suppose, sinon un dogme dûment établi, du moins une tradition solidement implantée. Et même s’il est permis de douter de l’authenticité de certaines trouvailles, on ne peut que constater cet état de fait : avec des outils rudimentaires, en utilisant des pierres naturelles qui devaient déjà évoquer la forme recherchée, les artistes paléolithiques, pratiquant sans le savoir la technique du ready-made si chère aux surréalistes, ont imprégné durablement la matière de leurs conceptions religieuses.
Sur le continent, il existe une autre représentation qui peut prêter à de nombreux commentaires : celle qu’on appelle généralement la Vénus de Laussel, du nom d’un abri qui domine la vallée de la Beune, non loin des Eyzies (Dordogne), et qui se trouve actuellement au musée d’Aquitaine de Bordeaux. L’abri de Laussel a été fouillé au début du siècle et a livré d’intéressants vestiges : la Vénus faisait partie d’un groupe de blocs calcaires sculptés de figurations humaines. Car il s’agit non pas d’une statuette mais d’une gravure en creux présentant des traces d’ocre sur un bloc de quarante centimètres de hauteur. La Vénus y est représentée de face, la main gauche sur le ventre, l’autre tenant à la hauteur de la tête une corne de bison dirigée vers le haut. Ce qui paraît être la chevelure retombe sur l’épaule gauche, mais le visage visiblement tourné vers la gauche n’est pas défini. L’adiposité des fesses et des hanches, qui est très nette, et la lourdeur des seins rappellent les statuettes de Lespugue et de Monpazier, bien qu’on puisse penser que cette gravure soit plutôt magdalénienne que gravettienne, c’est-à-dire plus récente de quelque dix mille ans. De toute façon, elle marque la continuité d’un art qui n’est pas gratuit et qui se charge de plus en plus d’éléments symboliques 25 .
La corne de bison ainsi portée ostensiblement pour attirer l’attention sur elle est évidemment fort importante. Mais quelle en est la signification et que vient-elle ajouter à la représentation de cette femme adipeuse ? La femme de Laussel, par ses formes plantureuses, est incontestablement à ranger au nombre des déesses mères : la maternité y est privilégiée aux dépens du sexe qui, ici, n’est ni tracé, ni évoqué, contrairement à la « Vénus impudique », statuette de huit centimètres de hauteur, provenant de la grotte de Laugerie-Basse (Dordogne), dans la même région. Cette « Vénus impudique », qui l’est d’ailleurs beaucoup moins que celle de Monpazier, se distingue par sa maigreur et son absence de seins. Est-ce une impubère, ou a-t-on voulu insister sur le sexe, c’est ce qu’on ne saura jamais. Mais, alors que les autres Vénus sont nues et ne portent aucun emblème, celle de Laussel tend cette corne d’un geste qui semble bien rituel.
La tentation est grande d’y voir une préfiguration de la Diane classique avec son croissant de lune dans la chevelure. Mais qui est donc Diane, cette chasseresse nocturne et « lunaire » ? C’est l’Artémis d’Éphèse, autrement dit la Grande Déesse, à la fois favorable et redoutable, celle qui donne
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