La grande déesse
avec ces fentes suggérant alors le point central tétraktyen, évoquant la source invisible dont procède le visible […]. Il est impossible d’écarter cette analogie. D’ailleurs, le triangle est le même que dans l’iconographie du tantrisme indien, qui rappelle l’énergie surgie du ventre, identique à la maya 27 . » On dira que ces considérations prêtent aux hommes de la préhistoire des préoccupations spirituelles d’une grande élévation qu’ils n’ont peut-être point eues. Mais les coïncidences sont trop nombreuses et trop étalées dans le temps et l’espace pour être seulement le fruit du hasard. On est ici nettement en présence d’une « idéologie », car cette vision de la féminité divine se retrouve partout et à toutes les époques.
Il est vrai que Pythagore, qu’on dit être l’inventeur de la tetraktys , n’a peut-être jamais eu d’existence historique réelle, mais la pensée pythagoricienne est une réalité incontestable qui remonte bien loin dans le temps : elle n’est que la mise en forme, à la façon des Grecs, de cette tradition transmise depuis des générations et des générations, et qui perdure de nos jours, parfois même sous des aspects identiques. La femme est toujours un mystère insondable qui attire et fait peur à la fois, qui donne la vie et qui se fait mère dévoreuse, et que les moralistes chrétiens ont eu tout loisir d’identifier au diable, du moins à l’idée puérile qu’on avait de celui-ci. Ce mystère, il a été ressenti par les hommes de la préhistoire, puisque les sculpteurs et graveurs du paléolithique se sont bien gardés d’en dessiner le visage. Qui est donc cette Déesse des Commencements, qui a un sexe, mais pas de visage ? Est-ce l’éternel féminin si cher aux poètes ? N’est-ce pas plutôt la conséquence d’une volonté bien déterminée de ne point mettre de repère sur le mystère de la sexualité et de la procréation ?
On peut évidemment prétendre que la tête a été brisée, mais d’où vient alors qu’on n’en ait point retrouvé des fragments ? D’autre part, le type dit de Lespugue comporte une forme de tête bien nette, mais sans visage, ce qui correspond à une volonté délibérée de ne pas représenter d’individualité précise. Dans ces conditions, la meilleure hypothèse serait de voir dans ces statuettes et gravures une représentation de la féminité en tant que telle, féminité anonyme et donc universelle, forme symbolique du divin ineffable. De plus, on sait que le motif de la « femme sans tête » est employé pour désigner une prostituée : ne serait-ce pas une allusion à la prostitution sacrée, rituel grâce auquel l’individu mâle accède à un niveau divin en s’imprégnant des forces surnaturelles que détient la Déesse, ou la prêtresse qui l’incarne ?
Il y a cependant une exception à cette absence de tête dans les figurations féminines du paléolithique : il s’agit de la célèbre « Dame de Brassempouy », découverte dans les Landes, au fond de la grotte du Pape, et qui se trouve actuellement au musée des Antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye. Le corps a disparu ; on pense qu’il devait être du même type que la Vénus de Lespugue. C’est donc simplement une tête qui mesure à peine quatre centimètres, sculptée dans l’ivoire, dont le visage, un peu aigu, est d’une extrême finesse, bien que les yeux soient à peine visibles et la bouche absente. Le plus remarquable, c’est le relief d’un quadrillage qui peut représenter soit la chevelure, soit une coiffure retombant sur ses épaules, d’où son surnom de « Dame à la capuche ». De toute façon, il est certain qu’on a voulu représenter ici la beauté féminine : c’est le premier maillon de cette chaîne qui surgit de la nuit des temps et qui, passant par les visages impassibles des déesses grecques et les sourires ambigus des Vierges gothiques, conduira aux représentations contemporaines de la Mère de Dieu. Désormais, la Déesse des Commencements quitte les brumes des origines et se personnalise dans des sociétés de plus en plus sensibles au regard de l’autre.
Notre-Dame-de-Sous-Terre
L’époque mégalithique
De la fin du paléolithique, c’est-à-dire vers – 10 000, au néolithique de l’Europe occidentale, c’est-à-dire vers – 5 000, les témoignages artistiques anthropomorphiques manquent à peu près totalement. C’est
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