La grande déesse
la vie et la reprend. Dans une mythologie gréco-romaine décadente, elle est devenue la sœur jumelle d’Apollon, type absolu du dieu mâle qui s’approprie le soleil comme emblème. Mais, à l’origine, Apollon n’est pas un dieu solaire, et il n’est pas grec : il a été artificiellement intégré à la mythologie hellénique par une sorte de tour de passe-passe. En effet, on le fait naître de Zeus, le Grand Dieu père indo-européen, et de Latone-Léto, laquelle est l’une des images de la Grande Déesse solaire pré-indo-européenne. Et Latone-Léto tombée dans l’oubli (confinée en son rôle de génitrice), sa composante solaire est héritée par ses enfants ; mais, comme la société est devenue patriarcale, c’est le fils qui s’en empare, reléguant la fille à un rôle secondaire, nocturne, lunaire. Si la société avait été gynécocratique, Diane-Artémis aurait été présentée avec une tête rayonnante et solaire, Apollon avec un croissant de lune. L’inversion de polarité ayant joué à fond, on n’a plus vu dans l’image de Diane revêtue des cornes de la lune qu’une divinité secondaire : or, les cornes de la lune, attribuées à Diane-Artémis, ont peut-être une tout autre signification.
Elles ne sont pas un emblème de la Déesse, en effet, mais le symbole du masculin grâce auquel elle restitue la dyade primitive, tout en affirmant sa primauté. La corne de bison que la Vénus de Laussel élève avec tant d’ostentation – et de triomphe – est tout simplement l’homme-lune, son fils-amant. Elle-même est la femme-soleil, qui donne la vie et répand sa chaleur généreuse – plantureuse, pourrait-on dire – à la fois à l’être privilégié qu’est le fils-amant, et à tous les êtres vivants dont il est la synthèse absolue. C’est le grand mythe de Cybèle et d’Attis, ou encore d’Aphrodite et d’Adonis : la Vierge mère redonne la vie à son fils-amant et le présente triomphalement, signifiant ainsi la victoire sur la mort. L’image chrétienne de Marie, tenant Jésus bénissant sur son bras, découle de la même conception.
Cette interprétation ne contredit nullement les autres : « En mythologie, la méthode essentielle est l’analogie, et l’exemple de la Femme à la Corne prouve que les artistes du paléolithique maîtrisaient parfaitement cette analogie, car cette figure a trois supports analogiques : d’abord la corne d’un taureau (bison), ensuite le croissant de la lune, enfin l’enfant à peine surgi du ventre de la mère 26 . » Et tout cela renvoie bien évidemment aux triples représentations de la déesse mère : maîtresse des richesses (dispensatrice des troupeaux symbolisés par la corne), unie sexuellement à l’homme-lune (la corne est un symbole de virilité), et mère. Ce triplement, tant de fois constaté dans les légendes mythologiques et dans l’iconographie, est cristallisé en une seule image dans la Vénus de Laussel.
À la période suivante, intermédiaire entre le solutréen et le magdalénien, c’est-à-dire aux environs de – 15 000 ans, les gravures rupestres assurent la permanence de cette conception. Ainsi dans la grotte d’Anglessur-l’Anglin (Vienne), une frise (dont un moulage se trouve actuellement au musée de l’Homme à Paris) présente, parmi des chevaux, des bouquetins et des bisons, une triade de silhouettes féminines. Elles sont travaillées en bas-relief, juste sous la voûte, mais sans tête ni buste, figurées seulement de la taille aux genoux. Les formes ne sont plus alourdies comme à la période précédente, mais au contraire très sveltes, et le ventre, le sexe et les cuisses sont dessinés avec beaucoup de précision. Visiblement ce qui prime ici, c’est le rôle sexuel féminin, à l’exclusion de toute connotation maternelle. On serait tenté de parler de « métaphysique du sexe », comme pour les deux silhouettes de femmes sans pieds ni tête, également mêlées à des représentations animales, qui sont peintes sur les parois de la fameuse grotte de la Madeleine (Dordogne), dont la pose alanguie n’a évidemment rien qui puisse rappeler la fécondité. « À considérer attentivement l’intéressante triade d’Anglessur-Anglin, on ne peut pas ne pas remarquer que les triangles sexuels sont, tous les trois, très bien définis et que les rainures centrales sont nettement en évidence. De plus, les triangles sont distinctement équilatéraux, comme la tetraktys ,
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