La grande déesse
Boyne, qui occupe une place privilégiée dans les récits mythologiques des anciens Celtes. Il est en effet souvent question d’une « chambre de soleil », détenue par le dieu Oengus, maître des lieux, et dont l’action régénératrice est mise en évidence. La même caractéristique peut être observée en France au monument de Dissignac, en Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), avec cette différence que le tertre contient deux passage graves , figurant évidemment deux matrices. Ces antres obscurs, inondés de lumière solaire au moment où se produit le renversement de polarité dans la course du soleil, sont incontestablement des sanctuaires de renaissance et d’immortalité placés sous le patronage, on devrait dire le « matronage », de la Grande Déesse solaire universelle. Celle-ci répand la vie par la chaleur et la lumière qui émanent d’elle : il n’y a pas là une divinité maternelle tellurique et un astre masculin flamboyant, mais une seule et même entité divine, noire et blanche , ténébreuse et lumineuse, à la fois dévoreuse de vie et génératrice d’éternité.
Mais les tertres mégalithiques ne sont pas tous orientés vers le lever solsticiel d’hiver, loin s’en faut, et il n’y a pas de règle générale, comme cela a été le cas jusqu’au XVI e siècle pour les églises chrétiennes (orientées non vers Jérusalem comme on le prétend stupidement, mais selon la tradition solaire indo-européenne). Les tertres ont été bâtis essentiellement en des endroits qu’on jugeait sacrés, et lorsque le soleil n’y fait point d’entrée symbolique à des périodes précises de l’année, la Déesse solaire est néanmoins présente, gravée dans la pierre, généralement à l’entrée du couloir d’accès ou dans la chambre funéraire centrale. Ainsi en est-il au Mané-er-Hroëg en Locmariaquer (Morbihan), qui n’est pas un dolmen mais une butte funéraire de la fin du néolithique (vers – 2 000) : à l’entrée de la chambre, les constructeurs ont placé délibérément un pilier en réemploi, d’au moins mille ans antérieur, dont la face visible comporte une représentation schématique de la Grande Déesse.
Ce pilier constitue l’un des plus énigmatiques, mais aussi l’un des plus beaux témoignages de l’art pariétal mégalithique. La Déesse y est figurée en forme d’écusson, avec un renflement supérieur pour marquer la tête. À l’intérieur de ce « corps », sont représentés des signes peu déchiffrables : on y reconnaît cependant deux serpents, une hache, deux crosses et un motif que l’on classe généralement sous la dénomination de « cornes de bélier ». Au-dessus et au-dessous de cette « idole », des haches de différentes formes sont parfaitement visibles. L’ensemble de la stèle paraît mettre l’accent sur la puissance protectrice de la divinité, ainsi représentée par des éléments symboliques qui se réfèrent à des objets vraisemblablement communs à l’époque. Mais l’on sait que les cornes d’animaux et les haches rituelles ne sont pas rares dans les dépôts mis au jour par les fouilles des mégalithes. Faut-il y voir des emblèmes de la divinité ? Cette hypothèse est loin d’être exclue, surtout si l’on prend acte du mode de vie des populations que, faute de mieux, on appelle mégalithiques.
On objectera cependant que cette représentation ne contient aucun élément vraiment féminin. Mais le modèle de l’idole en forme d’écusson se retrouve en bien d’autres monuments, avec des composantes féminines très nettement précisées. D’autre part, le serpent – qui dans de nombreuses langues est du genre féminin, rappellions-le – est une figuration de l’antique Déesse, comme le démontrent une étude attentive de la Genèse, à propos de la tentation d’Adam et Ève 30 , ainsi que la légende de Mélusine, la fée à queue de serpent (et non à queue de poisson), c’est-à-dire la « vouivre » (du latin vipera ) bien connue dans les traditions populaires 31 . Enfin le nom local du monument est révélateur car Mané-er-Hroëg signifie « tertre de la sorcière », et la légende prétend que cette butte fut construite par les fées pour permettre à une femme de guetter le retour de son fils parti naviguer sur les mers. L’idée de protection maternelle est liée à ce monument incontestablement funéraire, mais qui pouvait être aussi un lieu de culte, un sanctuaire de la
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