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La grande déesse

La grande déesse

Titel: La grande déesse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
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l’on en croit les textes canoniques, n’a jamais été le mari, il incarne le chaste époux , devenant ainsi le modèle parfait de l’homme chaste – ou châtré – qui est au service exclusif de la divinité. Mais cela n’empêchait nullement les commentateurs de continuer à parler de la filiation davidique de Jésus par Joseph, ce qui constitue, il faut l’avouer, un remarquable tour de force.
    Quoi qu’il en soit, la Vierge Marie a pris la place de Cybèle – ou de toute autre Déesse des Commencements. Et comme ses devancières ont été représentées sous forme humaine, elle le sera elle aussi, puisque les peuples d’Occident ont besoin d’images concrètes pour répercuter l’ineffable. Il y aura donc, en dépit des diverses querelles entre iconoclastes et iconodules, des représentations de la mère de Jésus, devenue par la parole du Crucifié à l’apôtre Jean la mère de tous les hommes, celle qui aime d’un amour égal la moindre des créatures et en laquelle on peut placer toute confiance parce qu’elle est essentiellement maternelle.
    D’après une tradition solidement maintenue à travers les siècles, c’est l’évangéliste saint Luc qui aurait peint le premier portrait de la Vierge. Il est évidemment impossible, malgré les affirmations répétées des Pères de l’Église, de prendre la madone de Sainte-Marie-in-Via-Lata ou la madone de Sainte-Marie-Majeure, à Rome, pour des œuvres authentiques de ce médecin juif qu’était saint Luc, disciple de saint Paul, et qui, pas plus que son maître, n’avait connu la Vierge Marie. Mais le fait est là : toutes les représentations de Marie sont, d’après la tradition, des dérivés d’un portrait original de Luc. C’est d’ailleurs rendre hommage à cet évangéliste qui est le seul à parler longuement de la Vierge et de tout ce qui entoure la naissance du Christ. L’évangéliste Jean, qui, d’après les Actes des Apôtres, a vécu en compagnie de la mère de Jésus, est le seul à n’en pas parler, ce qui est plutôt étrange, car il semblerait qu’il ait été le mieux placé pour en porter témoignage. En fait, les représentations de la Vierge, tant en peinture qu’en statuaire, sont nées d’un modèle plus ancien, nécessairement préchrétien, et ont été agrémentées de détails extraits de récits considérés comme apocryphes, tels le Protévangile de Jacques , datant de la fin du 1 er  siècle, ou le Transitus Mariae , vraisemblablement rédigé au V e  siècle. On est très loin des détails que d’aucuns s’acharnent à considérer comme historiques.
    Mais peu importe, puisqu’il s’agit d’examiner comment a évolué l’image de la Déesse des Commencements sous le nom de Marie à l’intérieur même de la société chrétienne. Il est incontestable que l’origine de l’iconographie mariale remonte au temps des catacombes, lorsque le christianisme n’était encore qu’une secte juive perdue dans une romanité décadente. Mais, dans ces représentations frustes, naïves et pourtant fort émouvantes, la Vierge n’occupe qu’une place très secondaire. On ne l’y découvre que comme comparse, au milieu de scènes illustrant la vie de Jésus. Il faudra attendre le IV e  siècle pour que se dessinent les traits familiers de celle qu’on appellera plus tard la Madone. Les premières images où Marie apparaît seule se trouvent dans les églises de Syrie et du Proche-Orient. C’est de là qu’elles ont émigré vers l’Occident, suivant les routes commerciales et pénétrant ainsi les territoires anciennement celtiques où elles fusionneront avec les images des déesses mères pour donner naissance à un art tout à fait original et sous-tendu de nombreuses significations symboliques. Après que le pape Sixte III (432-440), immédiatement après le concile d’Éphèse, eut fait d’un ancien édifice romain un sanctuaire marial officiel sous le nom de basilique de Sainte-Marie-Majeure, la plupart des églises et cathédrales de France furent elles aussi vouées à la Vierge, de même que certaines abbayes, comme Autun, Tours et Poitiers. Et peu à peu, de nombreux sanctuaires prirent le nom de la Vierge Marie, Mère de Dieu, la Theotokos officialisée par le concile d’Éphèse. Cela ne faisait que correspondre à une volonté délibérée des fidèles de retrouver, à l’intérieur même du message chrétien, l’image de l’antique Déesse des Commencements, un instant écartée

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