La grande déesse
de maternité divine, le mauvais goût en plus ?
Pendant toute cette période qui va de la fin du Moyen Âge à l’aube du XXI e siècle, ce n’est pas l’art officiel, laïquelaïc ou religieux, qui témoigne le mieux d’un culte marial, mais l’art populaire tel qu’il se présente dans toutes les campagnes, dans la moindre chapelle isolée au milieu des prés ou dans les bois, dans la moindre église paroissiale perdue. La plupart des sanctuaires chrétiens ont été édifiés sur des lieux sacrés connus comme tels dès la préhistoire. C’est là qu’a été assurée la permanence d’une spiritualité et, la plupart du temps, c’est dans l’inconscient collectif des populations rurales que s’est maintenue la belle figure de la Mère divine, parée selon les régions ou les époques de diverses colorations d’autant plus significatives qu’elles n’ont pas été imposées par une idéologie dominante mais ont surgi naturellement d’une tradition qui n’a jamais été perdue.
De même qu’il est impossible de donner une liste complète de ces Vierges nées de la ferveur populaire, il serait vain d’en dresser un catalogue raisonné. Tous les modèles et tous les styles ont leur place dans cette floraison d’hommages à la Mère de Dieu, avec, à chaque fois, des motivations liées à l’histoire locale, ou plus exactement à la légende locale. De plus, il est difficile de distinguer parmi les différentes statues des églises de campagne celles qui ont été réalisées spécialement pour ce lieu de celles qui y ont été apportées ; d’autres encore ont été découvertes dans le creux d’un arbre ou dans la terre, ces dernières étant vraisemblablement des idoles préchrétiennes présentant des analogies avec le type de la Madone mais la plupart du temps retaillées, retouchées, christianisées, et bien souvent revêtues d’ornements destinés à en camoufler les caractéristiques païennes.
Cependant, une statue comme celle de Notre-Dame-des-Avents, dans l’église paroissiale de Chissey (Saône et Loire) porte incontestablement la marque du XVI e siècle. Il s’agit d’une femme présentée debout, les mains jointes, dans une attitude de recueillement et de prière, avec un visage empreint d’une grande sérénité. Le drapé de son vêtement est d’une remarquable sobriété, mais sur son ventre apparaît l’image gravée de l’Enfant Jésus, à l’état d’embryon, entouré de flammes solaires. Visiblement, l’accent est mis ici sur la parturition permanente attribuée à la Vierge Marie : le non-encore-né est cependant en pleine vie et, de plus, il est lui-même le soleil qui donne son énergie au monde. On peut considérer cette Vierge des Avents comme une sorte de « reposoir », un « saint Graal » qui contient l’ineffable, le Dieu qui donne la vie au monde entier et dont la manifestation extra-utérine n’est que la transcription plastique du concept de la Mère éternelle. L’image, malgré son apparente orthodoxie, fait remonter bien au-delà du message évangélique.
Toutes ces statues en pierre ou en bois qui sont dues à un art populaire traditionnel obéissent davantage à des croyances profondément enfouies dans l’inconscient collectif qu’à des modes imposées par un clergé intransigeant. En fait, sous des dehors orthodoxes, ce sont toujours des tendances hérétiques ou archaïsantes qui se manifestent, car les apparences, pourtant bien commodes, sont fort trompeuses et permettent toujours une interprétation conforme au « ce qui va de soi ». Il en est ainsi des multiples représentations de la Vierge au serpent. Il est de bon ton de prétendre que Marie écrase le serpent, responsable de la malédiction qui pèse sur l’humanité. Dans la fonction de Mère de Dieu, la Vierge a permis de neutraliser les effets de la Tentation et de la Chute, puisque le Christ abolit les œuvres diaboliques par son sacrifice. Mais il faut cependant voir plus loin dans cette image symbolique de la femme et du serpent : car à l’origine, répétons-le, le serpent est féminin, c’est une « serpente », une « vouivre », comme elle est représentée sur une des anciennes portes de l’église paroissiale de Mauron (Morbihan), avec un buste et une tête de femme. Dans ce cas, une autre interprétation s’impose, également orthodoxe : la Vierge Marie triomphe de la féminité satanique, c’est la Vierge céleste qui s’impose au
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