La grande déesse
détriment de la Vierge tellurique, autrement dit Ève, responsable du premier péché et enfermée à jamais dans la matière, donc foulée aux pieds. Cependant, au second degré, et compte tenu d’images comme celle de la mystérieuse pierre d’Oo, conservée au musée de Toulouse, sorte d’androgyne dont le sexe se prolonge en forme de serpent jusqu’au sein gauche, ne faudrait-il pas considérer la Vierge au serpent comme l’expression d’une féminité divine entièrement restituée ? À force de répéter que Dieu est le Père de tout, on l’a masculinisé de façon arbitraire. Et à cette question constamment posée de nos jours : « Dieu est-il une femme ? » on peut en substituer une autre : « Dieu est-il androgyne ? » La logique voudrait que la réponse soit affirmative.
Mais il arrive que le serpent soit remplacé par une sirène, comme sur la statue de Notre-Dame-de-Bréac-Ilis dans l’église paroissiale de Brennilis (Finistère). C’est une Notre-Dame-des-Marais, appellation justifiée par la présence, au-dessous du bourg de Brennilis, du marécage du Yeun-Ellez qui passe, dans la croyance populaire, pour être une des portes de l’enfer. On ne peut que songer à un poème de François Villon dédié à la Vierge « impérière des infernaux paluds ». Et comme la représentation de saint Michel luttant contre le dragon (mais ne le tuant pas), cette image n’est-elle pas l’expression de l’équilibre qui doit être constamment maintenu entre les forces célestes et les forces telluriques ? En ce sens, la Vierge Marie, perpétuelle médiatrice, gardienne de la porte des Enfers, ne fait que contenir la puissance de la sirène (à queue de poisson, ou de serpent, c’est-à-dire Mélusine), permettant ainsi l’équilibre de la Création. Elle est plus que jamais « déesse mère ». De plus, non loin de cette statue, un vitrail représente sainte Anne portant Marie dans son sein. Or, dans tous les pays de culture celtique, sainte Anne est la transposition chrétienne de la Dana-Anna de l’antique mythologie, la mère des Dieux et des hommes.
La Vierge est bel et bien la Mère permanente. Sur le territoire d’Édern (Finistère), au lieu-dit Koat Kaer (« Bois joli »), sur les pentes d’une colline boisée, se dresse une remarquable croix d’une hauteur de 4,80 mètres. Très simple, elle présente d’un côté un Christ au visage anguleux et paraissant assoupi, et de l’autre une pietà bien particulière : en effet, on y voit le corps de Jésus replié sur lui-même, en position fœtale, de telle façon qu’il ne dépasse pas les genoux écartés de la Vierge. Il semble que le sculpteur du XVIII e siècle, qui a signé « G. Le Foll, l’an 1756 », ait voulu signifier que Jésus mort était en quelque sorte réintégré dans le ventre maternel pour y recevoir une nouvelle naissance. Cette idée est renforcée par l’étrange figure labyrinthique placée entre les jambes de la Vierge, figure évoquant incontestablement une matrice. Cette image renvoie aux gravures dolméniques, en particulier à celles du cairn de Gavrinis et, quoiqu’il s’agisse d’une œuvre relativement récente, on ne peut pas nier que le sculpteur a repris ici une tradition millénaire. D’ailleurs, ce genre de figuration labyrinthique se retrouve sur des chapiteaux du porche de l’église d’Yvignac (Côtes-d’Armor). Il est possible qu’il s’agisse de pierres appartenant à l’ancien édifice roman, mais on ne peut jamais avoir la certitude que ce ne sont pas des copies ou des variations sur un thème antérieur. Cela renvoie à un autre motif, absent sur le continent, mais répandu dans les îles Britanniques, celui de la Sheela-na-Gig , cette figuration féminine au sexe largement ouvert comme pour inviter les défunts à réintégrer le ventre maternel de façon à pouvoir renaître. Les éléments dits païens sont incontestables : la Vierge Marie n’est plus ici simplement la « servante du Seigneur », une femme qui accepte passivement d’être le pivot de l’incarnation divine une fois au cours de l’Histoire. Elle est la Vierge permanente, absolue, celle qui, en Natura naturans , est l’actrice d’une création ininterrompue.
Ce concept de création ininterrompue peut se traduire de façon plus orthodoxe. On en a un exemple célèbre dans l’église paroissiale du Yaudet en Ploulec’h, près de Lannion (Côtes-d’Armor). Le Yaudet, ou plutôt Koz
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