La grande déesse
Yaudet (le « vieux Yaudet ») comme on dit dans le pays, est un endroit chargé d’histoire et de légende. Le nom est une transcription maladroite en breton et en français du latin vetus civitatem , la « vieille cité ». Le bourg actuel, à l’embouchure du Léguer, est situé sur l’emplacement d’une cité gallo-romaine qui a dû être très importante et qui a pu, avant l’immigration des Bretons insulaires, être le siège d’un évêché de type gallo-romain déplacé ensuite à Carhaix, puis à Locmaria-Quimper. Les documents historiques manquent à ce sujet. Mais l’église du Yaudet, reconstruite en 1860 avec quelques éléments de l’ancien édifice, abrite, dans une alcôve, au-dessus du maître autel, un groupe sculptural tout à fait étonnant : il s’agit d’une Vierge à l’Enfant couchée dans un lit de dentelles, et au-dessus de laquelle plane une colombe. On connaît peu d’exemples de ce genre, mais en Bretagne on retrouve le même thème dans l’église de La Martyre (Finistère), où l’Enfant qui tétait sa mère a été enlevé, par pudibonderie semble-t-il, ainsi que dans la chapelle de Notre-Dame-de-Gueodet en Lanrivain (Côtes-d’Armor). Or Gueodet , comme Yaudet , provient du latin civitas . Découvrir dans deux sanctuaires qui portent le nom d’une « cité » la même représentation de la Vierge couchée n’est pas sans provoquer certaines réflexions.
Le groupe de l’église du Yaudet porte la marque d’une touchante naïveté ; or l’art populaire, on le sait maintenant, ne fait que reproduire, de façon parfois très gauche, des traditions dont personne ne peut indiquer l’origine exacte et dont on a oublié la signification. On doit signaler qu’au sommet du promontoire sur lequel est édifié le bourg du Yaudet, correspondant à l’emplacement de l’ancienne « cité », on peut voir une grande pierre plate à l’étrange gravure : un cercle avec des rayons. Il semble que ce pétroglyphe s’apparente aux gravures que l’on trouve dans certains ensembles mégalithiques du Morbihan et de l’Irlande, qui représentent l’antique Déesse des Commencements, divinité solaire féminine détentrice de chaleur, de lumière, d’énergie, finalement de vie qu’elle dispense à toutes les créatures. Le pont est jeté entre l’époque mégalithique et le christianisme, et la représentation de cette Vierge couchée, comme le pétroglyphe du promontoire du Yaudet, donne à penser qu’existait autrefois dans cette région un important sanctuaire voué au culte de la Déesse solaire des Commencements. L’embouchure du Léguer, ouverte vers l’ouest, n’est-elle pas le point ultime où les êtres humains peuvent se réunir pour honorer la déesse Soleil qui se couche quelque part dans cet océan mystérieux qu’on hésite toujours à parcourir, mais qui livre l’espoir d’une résurrection, celle du Fils qui naîtra le lendemain, autrement dit le Jeune Soleil ? N’est-ce pas cette idée fondamentale qui est représentée dans le groupe de la Vierge couchée avec l’Enfant, sous l’inspiration de la colombe, c’est-à-dire de l’Esprit divin qui plane sur les eaux primordiales ? Quant à la « cité », au sens étymologique du terme civitas qui définit la « communauté », elle suscite indéniablement l’image emblématique de la reine : cette « grande reine » que les anciens Bretons appelaient Rhiannon est l’incarnation visible d’une collectivité, que les chrétiens appelleront « communion des saints » et qui, dans la tradition armoricaine, se manifeste par la croyance dans les Anaons , ce peuple des défunts qui hante les landes, les forêts et les rivages. Les Anaons sont proprement les « enfants d’Anna », ces fameux Tuatha Dé Danann d’Irlande, qui avaient apporté des « îles du nord du monde » la sagesse, la science, la magie et le druidisme, en même temps que quatre objets symboliques, la lance qui ne manquait jamais son coup, l’épée flamboyante, le chaudron à la nourriture inépuisable et la pierre de souveraineté. Les peuples de la déesse Dana, ou Anna, se sont toujours souvenus de la présence de la Mère et, quelle que fût l’idéologie dominante, quels que fussent les dogmes en vigueur, ils ont continué à l’honorer comme maîtresse de la Vie.
Mais si cette fidélité à un idéal est caractéristique de l’art populaire, elle n’est pas celle de l’art officiel. Le XIX e
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