La grande déesse
et que cette charge peut être répartie sur tous ceux qui s’en approchent. Ce concept, loin d’être naïf ou ridicule, est le témoignage d’une certitude inhérente à l’esprit humain selon laquelle la créature doit, à un moment ou à un autre, fusionner avec son créateur – ou tout ce qui côtoie le créateur – pour obtenir la puissance de poursuivre l’œuvre de création.
Un tel état d’esprit ne pouvait que favoriser des lieux consacrés à la Theotokos . Mais, comme on ne pouvait prétendre à une présence effective de la Mère de Jésus en Europe occidentale, c’est par des voies détournées qu’on réussit à instaurer un culte marial. De là provient cette légende de la Virgo paritura , cette Vierge sur le point d’enfanter qu’auraient vénérée les druides, et qui n’est qu’une création cléricale du IX e siècle à Chartres. Cependant, par le fait même que les religions préchrétiennes honoraient une déesse mère, il était facile de passer d’une idéologie à une autre : le rituel demeurait le même. Il suffisait d’avaliser la légende de la Virgo paritura et d’en découvrir les preuves manifestes sous forme de statues conservées depuis la nuit des temps ou retrouvées miraculeusement, sinon importées d’Orient par quelque pieux pèlerin ayant accompli son retour aux sources.
SANCTUAIRES ET PÈLERINAGES
CONSACRÉS À LA VIERGE MARIE, À SAINTE ANNE
ET À MARIE DE MAGDALA
EN FRANCE
Il existait, depuis l’Antiquité, d’innombrables statues de déesses mères gauloises, ou plutôt gallo-romaines. Lors de la christianisation, certaines avaient été détruites en tant qu’idoles diaboliques. Mais d’autres avaient été cachées, enfouies dans la terre par des paysans qui voulaient bien adhérer à la nouvelle religion sans pour autant renoncer à leurs anciennes coutumes. Lorsque le culte marial fut officiellement instauré au V e siècle, on imagine aisément l’émotion et la ferveur qui pouvaient saisir les fidèles lorsqu’ils redécouvraient une statue enfouie dans le sol ou cachée en quelque endroit inaccessible : les vierges mères de l’Antiquité ressemblaient tant aux nouvelles images de la Vierge à l’Enfant qu’il suffisait de prétendre à une manifestation miraculeuse de la Mère de Dieu pour décerner un brevet d’authenticité à ces trouvailles. Depuis toujours, la découverte d’une statue perdue s’entourait d’éléments merveilleux. Et, dans le cas des statues de la Vierge, ces éléments merveilleux peuvent être rangés en deux catégories.
La première concerne la découverte d’une statue grâce à l’intervention d’un animal, un bovidé dans la plupart des cas. Le scénario est précis : un bœuf s’écarte pour brouter au même endroit ou bien s’arrête obstinément sur un chemin ou dans une partie d’un champ qu’on veut labourer, ou encore s’agenouille quand on l’oblige à avancer. Il arrive parfois qu’un bœuf ou une vache se mette à meugler au pied d’un même arbre, ce qui excite la curiosité. Alors, on découvre dans un buisson ou dans la terre une statue généralement informe ou abîmée, en bois ou en pierre, que l’on déclare solennellement être une Notre-Dame mise à l’abri aux temps héroïques. « Pareilles légendes rappellent inévitablement que nous avons adoré Isis aux cornes de vache, Cybèle associée au taureau mithriaque, et le dieu cornu préceltique Kernunnos. Il est vrai qu’un mythe peut naître plusieurs fois spontanément, mais il est vrai aussi que le bovidé, dans les mythologies où il figure, est toujours associé au culte de la terre. Il tenait déjà ce rôle chez les néolithiques. Or une tradition peut se maintenir alors qu’elle n’est plus comprise. Les corridas en sont une preuve, et aussi le cortège du bœuf gras 64 . »
La deuxième catégorie est celle du « retour », et elle est répandue dans presque toute l’Europe. « L’image ayant été découverte dans quelque lieu désert, parfois inhabitable, voire à peine accessible, l’inventeur, qui n’est jamais un prêtre, l’a emportée chez lui. Dans la nuit, elle retourne au lieu de l’invention. Le paysan s’adresse alors au curé, qui la porte à la paroisse, mais le lendemain elle a repris sa place primitive. Le curé revient alors la quérir avec la croix et la bannière, mais elle s’enfuit de nouveau. Il faut donc lui bâtir une chapelle exactement là où elle s’est
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