La grande déesse
fait construire à Knossós, sa capitale, un labyrinthe dans lequel il aurait enfermé le monstre. Là-dessus, les Grecs ont greffé la légende de Dédale et d’Icare, puis, un peu plus tard, celle de l’Athénien Thésée.
De toute évidence, le labyrinthe est un enclos sacré. Son nom provient vraisemblablement du nom grec de la hache, labrys , mais qu’en était-il du nom crétois ? Plutôt que de s’égarer dans les significations symboliques de la hache, il est préférable d’examiner la forme du labyrinthe, qui est nécessairement dérivée de celle du poulpe, animal marin que connaissaient bien les Crétois et dont les représentations sont nombreuses sur les poteries égéennes du néolithique 78 . D’un point de vue purement géométrique, cela équivaut à la spirale. Or, la spirale traduit exactement la position du fœtus dans le ventre maternel et, si l’on élargit son sens, elle constitue la figuration le plus parfaite de l’univers en expansion 79 . Il y a là matière à réflexion : le labyrinthe est à l’image du ventre maternel et le fait que le Minotaure y soit placé au centre signifie que l’être primitif – le fœtus, ou le germe primordial – est encore indifférencié, mi-humain, mi-animal, résultat d’une conjonction entre le monde animal et le monde humain, réminiscence de l’âge d’or où, dans un paradis terrestre, se côtoyaient et se comprenaient les êtres humains et les animaux.
Compte tenu de ces considérations, l’aventure d’Icare et celle de Thésée ne peuvent être que liées au concept de ventre maternel divin. Prétendument enfermé dans sa propre œuvre, Dédale, constructeur du labyrinthe, est en réalité confiné dans la matrice et ne peut naître à l’existence terrestre. Et lorsqu’il envoie son fils Icare, muni d’ailes fixées avec de la cire dans les airs, il tente de brûler les étapes : voulant naître, ici par personne interposée, Icare n’étant que son double, il croit naïvement qu’il suffit de sortir de la matrice pour acquérir une existence autonome. Or, Icare est immature, et la chaleur du soleil qui fait fondre la cire et provoque sa chute correspond à la redoutable brûlure qui envahit les poumons du nouveau-né au contact de l’oxygène de l’air. Les poumons d’Icare ne sont pas arrivés au stade lui permettant d’exister impunément à l’air libre. C’est la première leçon à tirer du mythe.
Mais si Icare voulait sortir du ventre maternel, Thésée veut au contraire y rentrer. Certes, sur un plan politique et historique, l’aventure de Thésée traduit la volonté des Athéniens de s’emparer de l’héritage crétois et d’intégrer dans leurs propres coutumes le culte de la déesse mère. Or, tout mythe a diverses significations selon les plans considérés, et le plan métaphysique (ou religieux, ou mythologique) paraît en l’occurrence beaucoup plus important. Le héros Thésée, destructeur de monstres, héros de lumière, donc héros civilisateur, se décide à anéantir le monstre gisant dans l’obscurité et dont la fureur passe pour redoutable parce que inconnue et enfouie dans l’inconscient humain. Thésée veut abolir l’ancien monde, le monde utérin, et en créer un nouveau (sur le modèle grec, bien sûr, selon la légende) qui sera sorti des ténèbres de l’inconscience . C’est le but de son expédition. Mais le fait qu’Ariane lui donne un fil qui lui permettra de retrouver son chemin – de revenir impunément de ce regressus ad uterum – est significatif : Thésée a peur d’être englouti dans la matrice originelle et de s’y anéantir. D’où le recours à Ariane, elle-même personnification de la déesse crétoise : en somme, il s’assure la complicité d’Ariane, avec laquelle il a des relations sexuelles, pour explorer son ventre, autrement dit le mystère féminin par excellence.
Il est vainqueur du monstre. Psychanalytiquement parlant, il a vaincu ses terreurs ancestrales, il a pénétré au cœur même du mystère, mais il en est revenu grâce au fil d’Ariane. Mais qu’a-t-il donc retiré de son expérience ? Assurément peu de chose, puisqu’il abandonne Ariane au profit de sa sœur Phèdre. Cela veut dire qu’insatisfait de son exploration, il cherche une autre image de la femme qu’il croit découvrir en Phèdre. Là, les Grecs ont prolongé l’histoire et démontré l’échec complet du héros qui se verra supplanté – symboliquement – par
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