La grande déesse
secrets qu’elle ne réserve qu’aux initiés. Mais l’image d’Artémis a été très édulcorée par les Romains qui en ont fait leur Diane chasseresse alors qu’à l’origine, elle semble avoir été la protectrice des bêtes sauvages. Il est d’ailleurs probable que son nom provienne d’un terme indo-européen qui a donné le gaulois artio , « ours » (d’où le nom du fameux roi Arthur) ; à ce compte, la célèbre statuette conservée au musée de Berne, la « Déesse à l’ours », de facture gallo-romaine, n’est que la vision celtique de cette Artémis du Proche-Orient et de la Grèce telle qu’elle était avant sa transformation par les Romains.
Le lien très probable entre Artémis et l’ours en fait une grande reine, analogue à la Morrigane irlandaise, car l’ours est un emblème royal (et le sanglier un emblème sacerdotal). Mais elle a été détrônée : le récit mythologique sur sa naissance recèle des éléments qui le font comprendre. Suivant la légende grecque, Artémis et son frère Apollon sont les enfants de Zeus et de Léto (Latone), une déesse assez mystérieuse qui n’est sûrement pas grecque à l’origine et paraît bien être un héritage du lointain passé indo-européen des Hellènes si ce n’est d’un passé préindo-européen fort imprécis. En effet, d’après Diodore de Sicile, le pays de naissance de Léto est l’île de Bretagne, aux environs du monument solaire de Stonehenge. Léto est incontestablement liée à un culte solaire hérité au moins de l’âge du bronze : le fait que son fils Apollon soit considéré comme un dieu du Soleil en est une preuve évidente. Mais tout cela a besoin d’être nuancé.
Zeus n’a pas la réputation d’être fidèle à son épouse Héra et les liaisons, du reste très passagères, qu’il entretient suscitent chez celle-ci une violente jalousie. Aussi lorsque Léto est enceinte, Héra la poursuit de sa vindicte, retardant considérablement le moment de l’accouchement. C’est seulement dans l’île de Délos – on se demande pourquoi – que Léto se trouve à l’abri des fureurs d’Héra et qu’elle peut mettre au monde deux jumeaux, Apollon et Artémis. Cette fable permet d’intégrer dans la tradition grecque le dieu Apollon qui, de toute évidence, est un personnage étranger à la tradition hellénique. Tous les commentateurs de l’Antiquité, y compris Cicéron lui-même, sont d’accord pour affirmer qu’Apollon est un dieu « hyperboréen », c’est-à-dire venu du Nord. Et il est avant tout considéré comme un poète, un savant et un médecin. L’Apollon primitif, dont le nom se réfère d’ailleurs à celui de la pomme, n’est en aucun cas un dieu solaire, et s’il y a un rapport avec le soleil, c’est bel et bien sa sœur Artémis qui l’entretient, à la suite de sa mère, elle-même divinité solaire, donc son double rajeuni (comme en Égypte Horus par rapport à Osiris). Or, la légende de Léto apparaît au moment où se manifeste le renversement de polarité constaté dans toutes les traditions méditerranéennes : le soleil qui était primitivement féminin (il l’est resté dans les langues celtiques et germaniques) devient masculin, et bien entendu la lune qui était masculine se voit liée au sexe féminin et rejetée dans la nuit comme une personnalité secondaire, un simple reflet de l’astre du jour. De même Artémis perd sa primauté au profit de son frère Apollon : celle qui était la Grande Déesse solaire des anciens Scythes en est réduite au rôle de miroir, et affublée d’un croissant de lune. C’est un signe des temps, celui du triomphe du patriarcat sur les conceptions non pas matriarcales mais gynécocratiques des sociétés antérieures vivant sous le regard de la toute-puissante Déesse des Commencements.
Ainsi donc, Artémis-Diane sera la Lune. Encore faut-il interpréter le croissant de lune qui figure de façon emblématique au-dessus de sa tête ou sur son front lorsqu’elle parcourt, pendant la nuit, les ténèbres de la forêt en compagnie des animaux sauvages. La biche a vite fait de remplacer l’ours : elle est plus rassurante, et plus féminine. L’inversion des symboles est cependant parallèle à l’inversion des polarités métaphysiques : il est probable que le croissant de lune a toujours été l’un des emblèmes d’Artémis, la toute-puissante, celle qui détient les secrets de la vie et de la mort, celle sans qui
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