La grande déesse
été formé sur le terme germanique qui signifie « ours ». Or, c’est à Berne qu’a été découvert le petit ensemble connu sous l’appellation de « Déesse à l’ours ». Il s’agit d’une représentation de facture gallo-romaine d’une femme assise devant un ours. C’est incontestablement la déesse Artio des Gaulois, résultat de l’évolution d’une figure divine symbolisée par l’ours. C’est évidemment l’aspect celtique de l’Artémis orientale, la maîtresse des animaux sauvages. À Berne, actuellement, plus personne n’aurait l’idée de rattacher le nom de la ville au culte de cette déesse sauvage, mais l’inconscient agit : l’endroit le plus visité de Berne, et celui dont les Bernois sont le plus fiers, est la célèbre Fosse aux ours. Cette constatation se passe de tout commentaire.
Cela n’empêche pas les Suisses catholiques d’avoir leur Vierge noire. Elle se trouve à Einsiedeln, à une quarantaine de kilomètres au sud de Zurich, au milieu des montagnes. Là encore, il semble y avoir une vague réminiscence de la déesse sauvage, mais celle-ci a été entièrement christianisée et le lieu est devenu un centre important de pèlerinage à la Vierge mère, protectrice et nourricière. La tradition rapporte que c’est un ermite souabe, un certain Meinrad, qui s’établit là, au milieu des bêtes sauvages, et qui y aurait été tué par des brigands. Sur l’emplacement de l’ermitage se dresse maintenant un monastère dans la chapelle duquel est inhumée la tête de saint Meinrad, sous les pieds d’une Vierge noire particulièrement vénérée.
L’Europe centrale compte peu de sanctuaires aussi célèbres que ceux d’Occident. En Hongrie, pays à la fois catholique et calviniste, il y a surtout l’important sanctuaire antique de Szombathely, presque à la frontière autrichienne. Mais c’est un site entièrement païen, consacré à cette Isis venue des bords du Nil, et métamorphosée lors de son passage à Rome. Et, en République tchèque, encore à la frontière autrichienne, non loin de Brno, c’est également un site préchrétien consacré cette fois à une déesse mère surgie du paléolithique supérieur, dont on a retrouvé une statue et qui a été appelé la Vénus de Vestonice, du nom du village voisin du sanctuaire, Dolni Vestonice. Cette Vénus en argile cuite a des rapports avec celle de Willendorf, mais elle exprime bien davantage la fonction nourricière prêtée à la divinité : elle est debout, fièrement campée sur ses jambes, ses hanches sont très larges, son visage bien découpé, avec des yeux marqués, et surtout deux seins qui tombent sur son ventre comme s’ils étaient alourdis par le lait. L’appellation de Vénus ne semble pas adéquate ici, car c’est incontestablement la fonction purement maternelle qui est mise en évidence, mais à l’analyse, étant donné que cette région est le creuset primitif dans lequel s’est fondue la première civilisation celtique, dite de Hallstatt, qui peut savoir quelle était l’image de la Déesse dans l’imaginaire des peuples qui sont devenus des Celtes ?
En Pologne, pays catholique par excellence, comprimé entre le luthéranisme et l’orthodoxie, l’image de la Déesse surgit de l’ombre sous les traits de la Vierge noire de Czestochowa, dans le sud, entre Wroclaw et Cracovie, la grande métropole religieuse de cette région également très marquée autrefois par les Celtes avant de succomber au « charme slave ». Czestochowa est le haut lieu spirituel de toute la Pologne et sa Vierge noire, popularisée par une icône qui a fait le tour du monde, est en quelque sorte la « mère des affligés », ceux-ci étant les Polonais qui, après une période indépendante – et conquérante, il faut bien le dire –, se sont retrouvés écartelés entre les convoitises de tous leurs voisins. Cette Vierge de Czestochowa, qui passe pour avoir été rapportée de Palestine en 1384, est en quelque sorte l’âme même d’une Pologne qui se cherche sans cesse à travers les vicissitudes de l’histoire.
Les zones frontières entre différents systèmes culturels seraient-elles propices au culte de la Grande Déesse ? Le cas de Medjugorje, en Bosnie-Herzégovine, semblerait le prouver : il s’agit d’un endroit, situé au sud de Mostar, sur un territoire catholique incontestablement d’origine croate, mais en contact direct non seulement avec les orthodoxes de Serbie mais
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