La grande déesse
Érinyes, les Furies, et les Euménides, puis les Parques, les Moires et les Sirènes, mais aussi les Muses, les Nymphes et tant d’autres créatures intemporelles qui peuplent les rêves et les cauchemars. Et les Romains, en empruntant aux Grecs l’ensemble de leur mythologie et en l’adaptant à leur propre mentalité, ne feront qu’accentuer cet éparpillement de l’image primitive de la Grande Déesse en multiples constructions fantasmatiques.
Le continent européen
L’Europe du centre et du Sud a été peuplée très tôt et le paléolithique supérieur y a laissé d’abondants vestiges. Parmi ceux-ci, les figurations féminines semblent parmi les plus anciennes du monde entier, et les statuettes connues sous les appellations de Vénus de Willendorf, en Autriche, et Vénus de Grimaldi, en Italie, très semblables à la Vénus française de Lespugue, comptent parmi les plus beaux et les plus nobles objets cultuels relatifs à la Grande Mère universelle. Mais cette tradition s’est maintenue au cours des âges : le néolithique a livré un nombre impressionnant de statuettes féminines représentant cette déesse, tant en pierre qu’en céramique. De même à l’âge du fer, comme en témoigne l’étrange chariot de Strettweg, conservé au musée archéologique de Graz (Autriche), qui consiste en une série de guerriers entourant une forme féminine dont le caractère divin ne fait aucun doute. De quelle déesse s’agit-il ? Probablement de cette divinité de la guerre, de la magie et de l’amour qu’on voit souvent réapparaître, sous des noms divers, dans la mythologie celtique. Enfin, à partir de la christianisation, les lieux autrefois consacrés à la Grande Déesse sont devenus des sanctuaires dédiés à la Vierge Marie, et ont survécu ainsi, essentiellement dans les pays à dominante catholique, car la Réforme protestante a fait souvent disparaître toute trace de ce que les réformateurs considéraient comme d’infâmes superstitions. Là où, autrefois, officiaient les zélateurs de la Déesse, des voyants aperçoivent la Vierge qui leur délivre des messages et les invite à tourner leurs regards vers le ciel. Mais qu’y a-t-il donc de changé depuis la lointaine préhistoire ?
À vrai dire, peu de chose, sinon les aspects et les valeurs internes prêtés à la Déesse. En Autriche, si le sous-sol renferme encore bien des vestiges de la religion celtique des deux âges du fer, se dressent encore, à Frauenberg (la « montagne des Dames »), au sud de Graz, les ruines du temple d’Isis-Noreia. Mais c’est une Isis déjà très différente de celle qui était honorée sur les bords du Nil : elle a été largement romanisée et ressemble davantage à celle implorée par Lucius, le héros du roman L’Âne d’or , d’Apulée, écrivain latin du Bas-Empire, ou qui envahissait l’esprit enfiévré de Gérard de Nerval, synthèse de toutes les déesses mères de l’Antiquité et de la Theotokos elle-même. Il n’est donc pas étonnant de la retrouver, toujours en Autriche, sous le nom de Notre-Dame-de-Mariazell, non loin de Vienne, dans un lieu de pèlerinage très fréquenté. Mais il faut savoir que la statue de la Theotokos est ici une Vierge noire et que cet endroit, bien avant l’instauration du pèlerinage en 1366, s’appelait déjà Mariazell, la « cellule de Marie ». Il est probable qu’il s’agisse d’un site consacré à la Déesse depuis des millénaires. L’Autriche est une terre très anciennement peuplée, une terre de lœss où se sont établies des populations diverses qui ont rendu hommage à la fertilité du sol par un culte assidu à une divinité de la fécondité. C’est ce dont témoignent les statuettes du paléolithique conservées au musée d’Histoire naturelle de Vienne, groupe auquel appartient la célèbre Vénus de Willendorf, découverte près de Krems. Mais celle-ci ne devrait pas faire oublier sa voisine, qu’on appelle la « Dame de Pazardzik » : approximativement de la même période (25 000 ans avant notre ère), c’est une forme féminine assise, aux fesses et aux hanches énormes, évoquant un violon, avec un triangle pubien bien marqué. Cette statuette n’est pas autrichienne : elle a été découverte dans la Thrace bulgare et s’apparente aux figurations des Cyclades. Une autre voisine, autrichienne celle-ci, récemment découverte à Krems, la Vénus dansante de Galgenberg, semble beaucoup plus ancienne
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