La grande guerre chimique : 1914-1918
dichloré à
la fin du mois de mai 1918. Au total, à la date du 11 novembre 1918,
ces trois usines avaient produit 1 937 t de gaz moutarde [596] , dont 1 509 t
par les Usines du Rhône.
Au mois d’août 1917, les Britanniques, par l’intermédiaire
du MoM, dressèrent un plan de production ambitieux. Ce plan prévoyait de
parvenir rapidement à une production de 200 t de gaz moutarde par semaine.
Les responsables de l’UAC, approchés par le MoM, déclarèrent, non sans
assurance, que la synthèse du sulfure d’éthyle dichloré ne poserait aucun
problème particulier à leurs chimistes. Le MoM décida donc la création ex
nihilo d’une usine capable de remplir, à partir de mars 1918, les
objectifs fixés en août 1917. Le prix de ce projet s’élevait à près de
deux millions de livres et, en dépit de l’accord de Winston Churchill, le
ministère des Finances opposa son veto en raison du coût jugé exorbitant de l’investissement.
En novembre, le Trésor n’accorda au CWD qu’un budget susceptible de financer la
construction d’une usine pouvant produire 75 t d’ypérite par semaine. De
plus, à cette date, les chimistes britanniques se disputaient encore sur le
mode de synthèse à adopter pour la production du gaz moutarde. Ces divergences
retardèrent encore l’avancement des travaux [597] . En dépit de l’assistance
technique des chimistes français au mois de mai 1918, il fallut attendre
juillet pour que le programme industriel britannique prenne enfin son essor. De
fait, et d’une manière curieuse, les chimistes anglais persistèrent entre mai
et juillet dans les voies déjà rejetées par les Français, avant de se ranger
fin juillet au procédé élaboré outre-Manche. Les premiers kilogrammes de
sulfure d’éthyle dichloré de « qualité militaire » furent produits
vers le 15 août par l’usine d’Avonmouth. Malgré de sérieuses difficultés
rencontrées sur le site (pannes fréquentes, accidents répétés), les quantités d’ypérite
produites augmentèrent pour atteindre à la fin octobre 135 t par semaine. À
la date du 11 novembre 1918, l’usine d’Avonmouth avait produit 560 t
de gaz moutarde dont 416 avaient satisfait aux normes de qualité exigées pour
le chargement dans des obus [598] . La production
totale des projectiles s’élevait à la date du 11 novembre 1918 à 400 000.
Tactiquement, la persistance du nouveau gaz allemand
présentait, dans une configuration défensive, l’avantage de pouvoir rendre de
vastes espaces impropres à toute utilisation militaire. Même longtemps après un
bombardement au gaz moutarde, une région restait dangereuse. Pendant l’hiver, l’ypérite
gelait en vastes flaques jaunâtres qui, le printemps venu, demeuraient
extrêmement dangereuses. Pour survivre dans ces conditions, les hommes devaient
porter non seulement leurs masques respiratoires en permanence, mais aussi des
gants, des guêtres et des lunettes de protection. Il était impératif de
décontaminer les équipements régulièrement. Utilisant au mieux les propriétés
de l’ypérite, les artilleurs allemands pilonnaient les positions ennemies
pendant la nuit de sorte qu’au matin, lorsque, croyant le danger écarté, les
fantassins ennemis avaient ôté leurs masques, la chaleur des premiers rayons du
soleil provoquait l’évaporation du sulfure d’éthyle dichloré et son lot de
nouvelles victimes. Le gaz moutarde devenait une arme de harcèlement, dont l’efficacité
ne se mesurait pas seulement au nombre des victimes qu’il provoquait. Il
rendait presque insupportable la vie du combattant de première ligne. Comme l’affirma
plus tard le général américain Fries : « Même si ce gaz ne tuait pas
énormément, sa capacité à réduire le potentiel physique en obligeant les
fantassins à porter des masques et des vêtements protecteurs était énorme. Il
semble que l’on puisse évaluer cette réduction des capacités au combat à au
moins 25 %. » [599] Après la date du
12 juillet 1917, l’arme chimique « se substitua partiellement
aux explosifs dans le rôle d’arme la plus vicieuse, de celles qui rendaient la
vie du combattant la plus terrible » [600] . Le gaz moutarde
avait la particularité de causer un grand nombre de victimes. Certes, le
pourcentage de cas mortels était relativement faible, de l’ordre de 2 à 3 %.
La fonte des effectifs ennemis [601] n’en était pas moins
fort importante dans la mesure où
Weitere Kostenlose Bücher