La grande guerre chimique : 1914-1918
la récupération des ypérités était
particulièrement longue. Au moment où la crise des effectifs commençait à
devenir préoccupante, l’ypérite, en provoquant des ponctions massives sur les
combattants, devenait le vecteur de la guerre d’usure [602] . La proportion
des rétablis (et on voit après quels délais !), n’était que de 65 %.
En outre, sur ces 65 %, un bon tiers présentait encore des troubles divers
et un état général précaire. Pour les autres, on déplorait une diminution
considérable de la valeur physique. Comme le notait, en janvier 1919,
Foulkes dans un rapport au chef d’état-major britannique : « Ce n’est
qu’en juillet 1917, avec l’apparition du gaz moutarde, que l’ennemi obtint
un véritable succès avec son artillerie chimique. À partir de cette date, nous
avons subi près de 160 000 pertes à cause des gaz dont une immense
majorité causée par l’ypérite. Même si la mortalité fut relativement faible, le
remplacement des hommes hors de combat sur le front nous posa de sérieux
problèmes tactiques et administratifs. » [603] Sur un total de
894 gazés admis dans un seul hôpital de campagne britannique entre le mois
de mai et le mois d’août 1918, 77 % étaient des victimes de l’ypérite,
10 % d’arsines, 6 % du phosgène, 4 % de lacrymogènes, et 3 %
de substances non identifiées [604] .
Le sulfure d’éthyle dichloré fut incontestablement un gaz
défensif en raison de sa persistance sans égale, tandis que les gaz plus
volatils étaient utilisés dans une perspective offensive. Ludendorff réalisa
très tôt l’intérêt de cette substance. Les Allemands l’utilisèrent dans un
premier temps pour gêner les préparations militaires et logistiques alliées
lorsqu’ils suspectaient une attaque imminente, comme dans la région d’Ypres à l’automne 1917.
Le commandant en chef de l’armée allemande affirmait « que des
bombardements chimiques soudains et massifs permettent de paralyser l’artillerie
ennemie et de forcer les fantassins à se terrer dans les abris » [605] . Ensuite, les
bombardements au gaz moutarde devinrent, au début de l’année 1918, une méthode
de harcèlement de l’ennemi, visant à ne lui laisser aucun moment de répit. Ce n’est
qu’en mars-avril 1918 que les Allemands firent précéder leurs offensives
de lourds pilonnages à l’ypérite afin d’interdire l’occupation de zones jugées « stratégiques »
par l’ennemi.
La première attaque alliée à l’ypérite fut l’œuvre des
forces françaises, qui bombardèrent entre les 9 et 13 juin 1918, la
11 e division bavaroise et la VII e armée, leur
infligeant de lourdes pertes [606] . À la lecture
des rapports allemands, il semble que cette offensive fut aussi dévastatrice
que celle menée par les forces allemandes un an plus tôt avec la même
substance. Les troupes atteintes furent saisies de la même effroyable panique
et durent se replier. L’OHL fut stupéfait de constater que les Alliés avaient
pu mettre sur pied la production de gaz moutarde, et cela aussi rapidement.
Outre-Rhin, la majorité des experts consultés avait certifié que les Français
et les Britanniques ne pourraient répliquer avant des années à l’innovation
allemande. De plus, si les troupes alliées étaient familiarisées aux dangers de
l’ypérite car elle était utilisée intensivement par l’artillerie ennemie depuis
près d’un an, les fantassins allemands l’étaient beaucoup moins. Un vent d’inquiétude
souffla pendant quelques jours à l’OHL. Il convenait impérativement de former
rapidement la troupe aux dangers du gaz moutarde ainsi que de doter les
fantassins de protections adéquates. Une première circulaire de l’OHL, datée du
21 juin, énonçait les mesures de protection à adopter à l’encontre du gaz
moutarde et décrivait ses modes d’action. Le 27 septembre, une nouvelle
circulaire, rédigée par le P r Haber, fut distribuée dans les
armées dans le but de mettre un terme aux rumeurs [607] qui se
répandaient parmi la troupe. L’impact psychologique sur les fantassins
allemands provoqué par l’apparition du gaz moutarde surpassa largement son
rendement militaire et contribua à l’écroulement militaire allemand lors des
cinq derniers mois du conflit. Les Britanniques, techniquement incapables de
répondre aux innovations allemandes, durent attendre le 30 septembre 1918
lors d’une attaque contre la ligne
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