La grande guerre chimique : 1914-1918
réduction des
ressources humaines de l’ennemi était notre principale préoccupation même si
nous tentions en chaque occasion de combiner cet objectif aux tâches militaires
de notre infanterie » [613] .
Les conditions qui menèrent à la guerre des tranchées furent
aussi multiples que complexes. Cependant, si l’on fait abstraction des
considérations stratégiques, on peut les ramener à quelques facteurs essentiels :
la puissance de feu décuplée de l’artillerie, la capacité d’arrêt presque
absolue des mitrailleuses, la mobilité nouvelle et extraordinaire des troupes
(grâce au chemin de fer) et des communications. Au début de l’année 1915, la
pensée qui animait les partisans de la guerre chimique était simple :
puisque les moyens classiques se révélaient impuissants à rompre le front
adverse, les agents délétères pouvaient permettre de neutraliser les défenses
élaborées par l’ennemi et ainsi d’enfoncer le front, et de reconquérir le
mouvement [614] .
Les victimes désignées des gaz allemands étaient les mitrailleurs et les
artilleurs alliés. Cependant, à terme, et malgré des succès initiaux mal
exploités, les mesures de protection défensives dont furent dotées les
fantassins permirent de réduire l’impact des gaz. D’une manière générale, ce
constat fut conforté par les fortes réticences d’un certain nombre d’officiers
à l’égard des armes chimiques. Aux yeux de ces officiers, plus concernés par
les problèmes tactiques quotidiens que par la stratégie générale, les émissions
de gaz n’étaient pas satisfaisantes. Après l’attaque britannique de Loos, les
rapports des officiers anglais se montrèrent extrêmement critiques : « Nos
tranchées sont remplies d’équipements dangereux. Les horaires des offensives
sont truffés d’hypothèques que seuls les météorologistes peuvent lever au tout
dernier moment si bien que, souvent, au moment de relâcher les gaz, ceux-ci
refluent rapidement sur nos positions. » [615]
Les incertitudes météorologiques jouèrent un rôle
déterminant dans la mauvaise réputation des nuées dérivantes auprès des
officiers d’états-majors. Lors d’une offensive majeure, le processus qui
consistait à acheminer les ordres d’attaques destinés à l’ensemble des unités
de premières lignes ainsi qu’aux réserves pouvait s’étaler sur près de douze
heures. Un grand nombre de généraux trouvaient là, en plus des considérations
morales, une raison supplémentaire pour rejeter l’utilisation des nuages
dérivants, véritable grain de sable dans les mécaniques subtiles et bien
huilées des offensives. Pourtant, on l’a constaté, les Britanniques
persistèrent dans cette voie en limitant cependant leurs ambitions à des
offensives chimiques ponctuelles lors d’opérations limitées. D’une manière
générale, l’acceptation de la guerre chimique par les officiers des armées
belligérantes fut progressive et marquée, surtout dans la phase initiale, par
des réticences parfois farouches. Ces réticences étaient avant tout d’ordre
moral. Certains officiers refusèrent même catégoriquement, lors des premières
semaines de la guerre chimique, que l’on utilisât des armes si peu
chevaleresques sur le secteur dont ils avaient la responsabilité. Mais, après
quelques mois, les arguments d’ordre moral s’effacèrent devant les
récriminations opérationnelles. Cela peut paraître paradoxal, mais à l’instar
des opinions publiques européennes et après un choc initial, l’utilisation
militaire des gaz devenait, dans une certaine mesure, la norme.
Dès le mois de juin 1916, une fois les moyens de défense
performants distribués sur les fronts, la seule manière de mener une opération
de nuées dérivantes susceptible d’être efficace consistait à mettre en œuvre
des émissions nocturnes de gaz à des concentrations de plus en plus élevées. L’obscurité
favorisait la surprise et les concentrations sans cesse croissantes étaient
censées saturer les capacités des masques respiratoires. Ces opérations
nécessitaient des conditions météorologiques particulières, ce qui rendait
délicate l’intégration des émissions de gaz à de larges opérations offensives.
En conséquence, les attaques au moyen de chlore ou de phosgène pressurisés se
virent attribuer de moins en moins d’effectifs en hommes, pour finalement ne
constituer qu’un simple vecteur d’une guerre
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