La grande guerre chimique : 1914-1918
recherches françaises et britanniques s’attachèrent d’une part, à élaborer
un procédé de synthèse du monochlorhydrine de glycol à des prix modérés et, d’autre
part, à explorer les autres modes de synthèse de l’ypérite. Dès l’été 1915,
des chimistes britanniques avaient suggéré l’utilisation d’un vésicant. En
février 1916, Ernest Starling demanda qu’une étude soit réalisée sur la
militarisation du sulfure de diméthyle. La toxicité de la substance ayant été
jugée insuffisante, la proposition fut repoussée. Peu après le pilonnage
allemand au gaz moutarde, le P r Irvine de Saint Andrews
fut chargé de mener les premières études. Quelques semaines plus tard, le 7 août 1917,
il rendait ses conclusions au Chemical Advisory Committee. Il préconisait de
synthétiser le sulfure d’éthyle dichloré selon la méthode élaborée par F. Guthrie
qui, techniquement, paraissait la plus facile à reproduire d’un point de vue
industriel. Au mois de septembre, devant l’ampleur de la tâche, le P r Pope
vint renforcer l’équipe dirigée par Irvine et commença à explorer les
possibilités de la synthèse de l’ypérite par la méthode Meyer. Les travaux se
révélèrent extrêmement ardus et complexes et, en janvier 1918, plus de 30 chimistes
britanniques de renom s’efforçaient de mettre au point une méthode de
production industrielle viable du gaz moutarde [592] . Cette quête
délicate fut entravée par les rivalités qui secouaient les différentes équipes
de recherches et il fallut attendre le printemps 1918 pour que les
recherches aboutissent à des décisions concrètes.
De leur côté, les autorités françaises s’empressèrent
également d’évaluer les difficultés techniques liées à la production
industrielle de l’ypérite. Elle nécessitait, comme matière première, l’emploi
de la monochlorhydrine de glycol, dont le prix était extrêmement élevé. Un
jeune chimiste de la poudrerie du Bouchet, M. Desparmet, prétendait avoir
mis au point un procédé réduisant considérablement la dépense de production du
monochlorhydrine de glycol. En novembre 1917, le général Ozil,
directeur du matériel chimique de guerre, passait avec M. Desparmet une
convention pour la fabrication de 15 t d’ypérite. Cette convention
spécifiait également la construction d’une usine à Nanterre capable de produire
rapidement 500 kg de gaz moutarde par jour. Mais des problèmes techniques
ainsi que des protestations véhémentes des riverains de cette usine empêchèrent
sa construction [593] et la convention ne fut pas appliquée. C’est donc la méthode de synthèse
classique, plus coûteuse, qui fut utilisée par les usines françaises. L’épisode
Desparmet fut en outre à l’origine de délais supplémentaires dans le programme
français de production d’ypérite. Au début du mois de janvier 1918, trois
équipes de chimistes français consacraient leurs travaux à l’ypérite. La
première était dirigée par les P rs Moureu et Job, la deuxième
par le P r Gabriel Bertrand et la dernière par le P r de Kap
Herr. Ces chercheurs fournirent un travail remarquable dont les Américains et
les Britanniques [594] bénéficièrent par la suite et qui permit à la France de répliquer avec des obus
emplis de gaz moutarde trois mois avant les Anglais.
En effet, vers le mois de mars 1918, le P r Bertrand,
puis le P r Job, reprenant les travaux débutés en 1860 par
Niemann, montrèrent que le chlorure de soufre, en se fixant sous pression sur l’éthylène,
formait du sulfure d’éthyle dichloré. Ce procédé (effectué à des températures
plus basses) présentait en outre l’avantage d’être plus rapide que celui adopté
par les Allemands [595] .
La DMCG décida donc de confier la production du gaz moutarde aux Usines du
Rhône, dont les premières tentatives de production se révélèrent toutefois peu
probantes. L’équipe de production était dirigée par de Kapp Herr de la DMCG
et J. Frossard, un ingénieur chimiste détaché du cabinet de Louis
Loucheur, le nouveau ministre de l’Armement. Les principales difficultés
surmontées, une usine pilote à Péage du Roussillon fut mise en service au mois
de mars 1918. Deux autres sociétés furent également impliquées dans ce
processus industriel : Chlore Liquide (Pont-de-Claix) et les Stéarines et
Savonneries de Lyon, qui commencèrent à produire du sulfure d’éthyle
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