La grande guerre chimique : 1914-1918
rapidement
abandonnée. Le même sort fut réservé à la proposition de Weygand, qui suggérait
le 25 avril que « la meilleure manière d’éviter le nuage, quand il arrive,
ou d’en sortir le plus vite possible, est de foncer en avant contre le vent qui
l’emporte » [653] .
Les forces françaises furent dotées, dès la fin avril 1915,
d’un masque semblable à celui qui équipait les troupes allemandes : un
simple tampon de coton imprégné d’hyposulfite de soude, que l’on appliquait
devant la bouche et les narines. Cette solution était « alcanisée »
par l’addition de carbonate de soude. Ces tampons étaient plus ou moins
suffisants pour la protection contre le chlore et ses dérivés [654] . En deux
semaines, cette protection fut produite à 500 000 exemplaires.
Le 28 avril 1915, les forces britanniques
découvrirent une protection respiratoire allemande sur le cadavre d’un
fantassin bavarois. Les P rs John Haldane, Herbert Baker et
Mavrogordato entreprirent d’étudier ses caractéristiques. Il fut rapidement
décidé d’en copier le principe, et sa production, sous l’impulsion de Lord Kitchnener,
fut confiée à des femmes britanniques. Le 5 mai, les premiers exemplaires
furent distribués aux combattants dans la région d’Ypres. Sa conception
demeurait cependant quelque peu archaïque, et son efficacité toute relative. Ce
respirateur, qui allait être connu sous le nom de Black Veil Respirator, était
constitué « d’une longue pièce de toile cousue de manière à pouvoir
contenir une espèce de poche du coton imbibé de thiosulfate de sodium, de
carbonate de sodium et de glycérine afin de maintenir l’ensemble humide » [655] . À la date du 20 mai,
la totalité du corps expéditionnaire britannique en avait été dotée. De nombreux
exemplaires étaient défectueux et les soldats furent avertis qu’ils ne devaient
pas compter sur une efficacité totale de ces protections, qui, de plus, n’étaient
que temporaires. Le respirateur se fixait devant la bouche et les narines et
permettait aussi une protection rudimentaire des yeux. Malgré une ergonomie
plus que sommaire, ces masques démontrèrent une réelle capacité de protection
contre de faibles concentrations de chlore lors des attaques allemandes des 10
et 12 mai 1915. Cependant, l’état-major britannique était conscient
des insuffisances de ce modèle. Aussi, il fut décidé de créer un Anti-Gas
Department, dont la direction fut confiée au lieutenant-colonel Edward
Franck Harrison du Royal Army Médical College. Cet organisme, situé à Millbank,
était chargé de l’élaboration et de la mise au point des matériels militaires
de protection chimique. Harrison s’entoura d’un groupe de jeunes physiciens et
chimistes qui, nous le verrons, accomphrent un travail remarquable.
Le 28 juillet 1915, l’armée française adopta un
tampon formé de plusieurs épaisseurs de gaze ou tartalane non empesée, imprégné
d’une solution fixatrice d’huile de ricin et de ricinate de soude [656] élaborée par le chimiste Paul Lebeau. Ces substances permettaient de fixer à la
fois le chlore et le bromure de benzyle. Entre août 1915 et février 1916,
près de 4,5 millions de ces tampons (baptisés tampon P) furent
fabriqués, soit une moyenne de 30 000 par jour [657] .
À l’origine les lunettes étaient séparées des appareils de
protection des voies respiratoires [658] . Il en fut
fabriqué 12 millions d’exemplaires de juillet 1915 à avril 1916
à la suite des attaques chimiques allemandes du début de l’été 1915 en
Argonne qui entraînèrent la capture d’un grand nombre de fantassins français
dépourvus de lunettes. À la fin du mois d’août 1915, sur les
recommandations des chimistes Kling et Henri, on ajouta à la solution
fixatrice, sous forme de tampons superposés, du sulfanilate de soude et de l’hexamine,
qui protégeaient contre le phosgène, et enfin du carbonate de nickel, qui
neutralisait l’acide cyanhydrique dont les Français préparaient l’utilisation
militaire. Au terme de cette amélioration, le masque fut baptisé tampon P2.
À cette même époque, un nouveau modèle de tampon élaboré par
un certain sergent Tambuté (masque Tambuté ou masque T) fit son
apparition sur le front. Son principe reprenait, en l’améliorant légèrement
(confort, facilité d’emploi, possibilité de s’exprimer pendant le port du
masque), le concept du tampon P2
Weitere Kostenlose Bücher