La grande guerre chimique : 1914-1918
réparties en Europe. Les premiers tampons
rudimentaires étaient imbibés de solutions alcalines dans le but de neutraliser
les gaz acides. Puis, quand le phosgène fit son apparition, le thiosulfate fut
rapidement remplacé par le phénate de sodium. Le problème des solutions
alcalines résidait non seulement dans leurs faibles capacités fixatrices mais
également dans leur inefficacité contre les lacrymogènes. Aussi, les recherches
aboutirent un peu partout chez les belligérants à des conclusions similaires :
la solution neutralisante la plus satisfaisante offrant le spectre de
protection le plus large était la combinaison d’un oxydant (comme le
permanganate de sodium) et d’un absorbant (comme le charbon de bois [671] glycériné). En juillet 1915, Bertrand Lambert et J. A. Sadd en
Grande-Bretagne, Richard Willstàtter en Allemagne, travaillaient sur le
permanganate de sodium sous forme de granules. Peu satisfait des performances
de la première cartouche filtrante conçue pour le masque allemand, Willstätter
entreprit, à l’automne 1915, d’améliorer substantiellement ses
performances [672] .
Fin novembre, ses travaux aboutirent à une nouvelle cartouche composée de trois
couches successives : la première restait identique au premier modèle, la
seconde était constituée de granules de charbon actif et la dernière de
granules de pierre ponce traités au carbonate de potassium ou à l’hexamine (ou
hexaméthylène tétramine). Cette ultime couche neutralisait les molécules de
phosgène non absorbées par le charbon actif. La production du masque doté de sa
nouvelle cartouche débuta en janvier 1916.
Comme leurs homologues allemands, les chimistes français et
russes étudiaient dès l’été 1915 les propriétés de l’hexamine pour leurs
propres masques respiratoires. Encore une fois, en raison de l’insuffisante
coordination qui régnait entre les différentes équipes scientifiques alliées,
les Britanniques ne débutèrent leurs recherches que plusieurs mois après les
autres protagonistes [673] .
Les chimistes anglais qui préparaient la riposte chimique examinaient l’utilisation
militaire du phosgène et de l’acide cyanhydrique, et ne doutaient pas un seul
instant que les Allemands en fissent de même. Il était donc impératif de
perfectionner au plus vite le masque qui équipait les fantassins britanniques.
Au début du mois de juillet 1915, l’adjudant général Macready fit
part de ses inquiétudes au secrétaire d’État à la guerre : « Je désire
attirer votre attention sur la gravité de la situation à laquelle nous
pourrions avoir à faire face si l’ennemi utilisait ces gaz avant que nous
soyons dotés de matériels susceptibles de les neutraliser. » [674] Cette tâche fut donc promptement réalisée. Les solutions absorbantes furent
considérablement améliorées grâce à l’ajout de la soude caustique et du phénol.
La flanelle fit également place à de l’alcali. Un dispositif comportant un
tuyau de plastique équipé d’une valve permettait d’évacuer les gaz produits par
la respiration. Cette disposition, outre le confort qu’elle offrait, évitait
aussi la détérioration des parois du masque par les rejets de dioxyde de
carbone. Ce nouveau masque, ou P Helmet, offrait une protection parfaite,
mais de très courte durée, contre des concentrations de phosgène allant jusqu’à
1 200 mg/m 3 , ce qui était
remarquable à cette date. Sa production commença au début du mois de septembre 1915.
Il fut produit à plus de 9 millions d’exemplaires. Les Russes, qui
utilisaient ce masque, suggérèrent d’améliorer la solution fixatrice en y
ajoutant de l’hexamine pour renforcer sa protection contre le phosgène. À la
mi-janvier 1916, une nouvelle version fut donc distribuée : le PH Helmet,
dont la seule différence résidait dans l’amélioration des performances [675] . Il allait être
utilisé jusqu’en février 1918 et produit à plus de 14 millions d’exemplaires.
Malgré leurs qualités indéniables, les modèles britanniques
de la classe P ou PH Helmet ne donnaient pas pleine satisfaction. Ils dégageaient
une odeur très particulière qui souvent avait pour effet de provoquer la
panique des fantassins inexpérimentés qui croyaient leur masque défectueux. En
outre, les solutions fixatrices retenues irritaient la peau des fantassins. Les
masques étaient fort désagréables à supporter pendant de longues
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