La grande guerre chimique : 1914-1918
occasions 50 % de munitions chimiques. Dès le mois
de mars 1918, Ludendorff avait décidé de faire détacher à l’OHL le
capitaine Meffert du KWI afin qu’il l’informe personnellement des
résultats des essais et des travaux en cours au sein de l’institut berlinois.
Il faut néanmoins se garder de tirer des statistiques évoquées dans le
paragraphe précédent une vision trop rigide de la manière dont étaient
conduites les hostilités chimiques. En effet, la proportion des munitions
délétères dépendait largement, d’une part, de l’approvisionnement et, d’autre
part, de l’importance des objectifs. De ce fait, la proportion de munitions
chimiques utilisées était extrêmement variable. Au cours du mois d’avril 1918,
en certaines occasions exceptionnelles, l’artillerie allemande tirait 80 %
de munitions chimiques dans des tirs de contre-batteries et 40 % dans les
tirs d’appui direct [644] .
Dans d’autres circonstances, ces proportions pouvaient s’abaisser
respectivement à 20 et 5 %. D’une manière générale, au cours de l’année
1918, on l’a dit, 28 % des obus tirés par l’armée allemande contenaient
des substances chimiques [645] ; une
proportion nettement supérieure aux armées alliées (8,4 % pour la
Grande-Bretagne et 16 % pour la France).
À titre d’exemple, voici les proportions des divers obus
prévus pour la VII e armée allemande lors de l’offensive sur l’Aisne
au printemps 1918 [646] :
Contre-batteries
(calibres 77, 105 et 150 mm)
Croix bleue
70 %
Croix verte
10 %
Explosifs
20 %
Appui
direct (Feuerwalze)
Croix bleue
30 %
Croix verte
10 %
Explosifs
60 %
Protection
Croix bleue
60 %
Croix verte
10 %
Explosifs
30 %
Cette répartition appelle évidemment quelques commentaires.
Tout d’abord, il faut le répéter, ces indications ne concernent qu’une
opération particulière et il ne faut pas en conclure que lors de cette campagne
la proportion de munitions chimiques était toujours aussi élevée. On note
également qu’il n’est pas fait usage d’ypérite, les artilleurs allemands
réservant, en cette occasion, ces projectiles pour contaminer les secteurs où
ils n’avaient pas l’intention de progresser. Plus étonnant encore, on constate
que, malgré leur relative persistance, la VII e armée utilisait
les obus croix verte (diphosgène) dans les tirs d’appui direct. Une
telle utilisation, appuyée de surcroît d’obus croix bleue, en dit
long sur la précision et la maîtrise que possédaient les artilleurs allemands à
la fin du conflit. On saisit aisément la difficulté que constituait un
bombardement chimique d’appui direct, c’est-à-dire sur des troupes progressant
rapidement vers les lignes ennemies. Quoi qu’il en soit, il est avéré qu’à de
nombreuses reprises au printemps 1918, les fantassins allemands ont été
gênés et même atteints par leurs propres gaz lors du Feuerwalze.
Plus qu’aux subtiles combinaisons tactiques élaborées par les
artilleurs, c’est à la maîtrise et l’innovation dans le domaine des substances
chimiques, et plus particulièrement l’ypérite, qu’il faut imputer le crédit des
succès de la guerre chimique lors des offensives allemandes du printemps. Au
cours du mois de juin, le gaz moutarde représentait près de 35 % de la
consommation totale des agents chimiques utilisés par l’armée allemande. En
certaines occasions, comme à Armentières ou lors de l’assaut sur le mont
Kemmel, les Allemands l’utilisèrent de manière extensive. La vigueur de l’assaut
s’émoussant et les conditions météorologiques plus défavorables à partir du
début juillet 1918 affectèrent le rendement des bombardements chimiques
allemands. Les gaz pouvaient également se révéler précieux pour encadrer et
protéger une offensive sur ses flancs en empêchent l’ennemi d’y amasser des
renforts ou d’y effectuer une contre-attaque. L’une des opérations les plus
représentatives de cette technique fut probablement l’attaque allemande du 9 avril 1918
sur Neuve-Chapelle. Peu avant l’assaut principal, qui fut lancé entre
Armentières et Béthune, le flanc sud, entre Lens et Béthune, fut pilonné aux
obus croix jaune puis bleue et vert. Sur le flanc
nord, les Allemands tirèrent en seize heures près de 20 000 obus croix jaune sur la ville d’Armentières, qui dut être évacuée
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