La grande guerre chimique : 1914-1918
scientifique. La première réunion sur les questions de défense
chimique eut lieu en avril 1915, peu avant l’attaque de Langemarck. Bien
que les experts allemands pensaient à cette date que la réplique chimique
alliée ne se produirait pas avant de longs mois, la question de la défense
chimique préoccupait les autorités militaires. Au cours de ces discussions,
Haber, exploitant le savoir-faire de l’industrie chimique allemande, demanda à
plusieurs firmes privées de lui soumettre rapidement des propositions
techniques. Tout au long du mois de juin, Bayer et Auergesellschaft, les deux
sociétés désignées, travaillèrent sur ces problèmes pendant que le Kaiser
Wilhelm Institut évaluait l’efficacité relative d’un grand nombre de substances
chimiques susceptibles de neutraliser les agents toxiques. Plusieurs concepts
furent présentés au P r Haber entre juin et juillet 1915,
et ce n’est qu’à la fin du mois de juillet que le responsable du programme
chimique fixa son choix sur un modèle de la firme Auergesellschaft. Dans le but
de superviser la réalisation et la production du masque, Haber réunit une
équipe de chimistes éminents qui comprenait des hommes tels que K. Quasebarth,
Reginald Oliver Herzog, Hans Pick et même, pendant un moment, Richard
Willstätter [666] .
Les travaux menés par cette équipe s’avérèrent en tous
points remarquables [667] .
Le masque allemand ne subit pratiquement aucune modification de sa structure
entre septembre 1915 et novembre 1918. Seules les substances
absorbantes virent leur composition évoluer et leurs performances s’accroître.
Au début de la guerre, les Allemands possédaient dans ce domaine un avantage
impressionnant. Le masque allemand était constitué d’un tissu imprégné de
caoutchouc, ce qui représentait une innovation extraordinaire pour l’époque.
Amos Fries et Clarence West en font la description suivante : « Le
masque allemand était constitué d’une seule pièce de tissu caoutchouté qui
épousait grossièrement la forme du visage. Une pièce circulaire de métal était
intégrée dans le masque au niveau du nez et de la bouche de la personne qui le
portait. La cartouche absorbante venait se visser sur cette pièce et l’étanchéité
était assurée à l’aide d’un joint de caoutchouc. Il n’y avait pas de valve et l’air
inhalé puis expiré cheminait par la cartouche filtrante. » [668] L’ingéniosité du masque allemand résidait dans la capsule ou cartouche
absorbante, qui était amovible. Ainsi, sans changer la conception du masque, il
était aisé d’adapter la composition des fixateurs chimiques en fonction de la
nature des gaz de combat utilisés par l’ennemi [669] . Cela fut fait
jusqu’à la fin de la guerre.
La cartouche fixatrice du modèle initial était constituée d’un
aggloméré de petits fragments de ponce très poreux, enrobés dans un charbon
végétal pulvérisé et imprégné d’hyposulfite de soude et de carbonate de soude
(ou même de soude caustique) [670] . Notons à ce
propos que l’avance allemande en matière de conception des masques
respiratoires ne mettait pas les troupes allemandes à l’abri des gaz ennemis.
En effet, aussi élaboré qu’il fût, le masque allemand ne protégeait pas contre
une initiative nouvelle en matière de guerre chimique. Il fallait bien
évidemment quelque temps aux chimistes allemands pour élaborer de nouveaux
mélanges fixateurs susceptibles de contrer une innovation ennemie. La surprise
demeurait le facteur essentiel de la guerre chimique. Le seul point faible de
ce respirateur tenait dans la taille réduite de la cartouche qui n’offrait,
contre des concentrations élevées, qu’une protection de quinze à vingt minutes,
de sorte que chaque homme était doté d’une cartouche de rechange. La cartouche
était intégrée à la structure faciale du masque, si bien qu’il était impossible
d’en augmenter indéfiniment le volume. Les Alliés exploitèrent cette faille en
modifiant le principe des offensives chimiques, de manière à créer des
concentrations durables et élevées de gaz au-dessus des lignes adverses
(projecteur Livens britannique), ce qui avait pour conséquence de
saturer la capacité des cartouches qui équipaient ces masques.
Les considérations chimiques liées à la neutralisation des
gaz toxiques dans les masques respiratoires s’imposaient de la même manière à
toutes les équipes scientifiques
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