La grande guerre chimique : 1914-1918
et
entraînées par le vent » [49] .
Malgré un avis initial favorable, il ne fut pas donné suite à la proposition.
Lors du siège de Sébastopol, il fut une nouvelle fois suggéré aux ministères de
la Guerre français et britannique d’utiliser des bombes toxiques remplies de
cacodyle ou d’oxyde de soufre. Les propositions des militaires,
particulièrement préoccupés par la résistance acharnée des assiégés, furent
repoussées par les autorités politiques alliées pour des considérations
morales. Revenant à la charge, Lord Dundonald, qui connaissait la teneur
du projet de 1812, proposa une nouvelle fois d’utiliser des vapeurs sulfureuses
dans le but de chasser les forces russes retranchées dans la ville de
Sébastopol. Il précisait même que, selon ses calculs, 500 t de soufre et 2 000
de coke seraient amplement suffisantes [50] . Une fois encore,
cette proposition fut repoussée.
La guerre de Sécession vit également quelques tentatives du
même acabit [51] .
Le 5 avril 1862, un certain John Doughty, de New York, écrivit au
secrétaire d’État à la guerre, Edwin Stanton, pour lui suggérer, croquis à l’appui,
la fabrication d’obus emplis de chlore liquide. Selon M. Doughty, son
invention permettrait de « déloger un ennemi retranché et ainsi protégé
des explosifs conventionnels, en le noyant sous un gaz plus lourd que l’air » [52] .
De cette façon, affirmait-il, il serait possible de mettre fin rapidement à ce
conflit inutilement meurtrier. Pour des raisons morales, la proposition, bien
que jugée techniquement réalisable, ne fut pas entérinée. La guerre des Boers
(1899-1902) donna lieu à la première véritable controverse internationale à
propos de l’usage militaire de gaz nocifs entre des belligérants [53] .
Au cours des hostilités, les forces britanniques firent usage d’acide picrique,
un explosif qui, au moment de la détonation, produisait des vapeurs toxiques [54] .
Les soldats Boers durent se protéger de ces émanations en respirant au travers
de tissus imprégnés de vinaigre. Le général Joubert émit une vigoureuse
protestation à l’adresse de Sir George White [55] . Les Britanniques
répondirent que, dans la mesure où l’acide picrique n’était pas placé dans les
obus pour produire des gaz nocifs, les récriminations de l’ennemi étaient sans
fondement. Du reste, l’effet tactique insignifiant des résidus de la détonation
mit rapidement fin à la polémique.
En dépit des multiples précédents, on ne peut véritablement
qualifier ces tentatives de guerre chimique. Depuis l’Antiquité, la tentation d’utiliser
des substances chimiques au cours d’opérations militaires fut récurrente,
particulièrement à l’encontre d’un ennemi retranché. Cependant, ces expériences
périodiques tenaient plus d’un artisanat tactique teinté d’empirisme que d’un
phénomène militaire significatif. Jusqu’à ce qu’éclate la Première Guerre
mondiale, ces tentatives ne relevaient que de l’épiphénomène militaire. De
plus, si on savait, dès avant 1914, que des obus percutants, quand ils
explosaient dans un endroit clos, dégageaient, en plus de leurs effets propres,
des gaz toxiques dont du monoxyde de carbone [56] , peu nombreux
étaient les officiers et responsables militaires qui envisageaient et
recommandaient l’emploi systématique de procédés s’apparentant à la guerre
chimique. D’une part, l’intérêt militaire immédiat d’une telle arme n’apparaissait
pas clairement et, d’autre part, des considérations morales mais également
juridiques interdisaient son éventuelle utilisation.
La chimie connut au cours de la seconde partie du XIX e siècle
un essor extraordinaire. Elle acquit à la fin du siècle le rang d’une véritable
industrie et les procédés de production à grande échelle se développèrent. En
1900, la production mondiale d’acide sulfurique s’élevait déjà à près de 4 millions
de tonnes [57] .
L’industrie chimique allemande était de loin la plus puissante du monde, et c’est
naturellement un scientifique allemand, Adolf von Baeyer, chimiste
organique de renom, qui eut la triste gloire d’avoir attiré l’attention sur l’utilisation
militaire des gaz lacrymogènes. En 1887, au cours d’un séminaire à l’Université
de Munich, le P r Baeyer développa cette thèse devant ses
confrères allemands [58] .
La police française entama, en 1912, un programme de
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