La grande guerre chimique : 1914-1918
à bout des armements les plus puissants de l’adversaire,
il contribua à l’éclosion d’une génération d’officiers hypnotisés par une
conception de l’offensive détachée de toute considération cartésienne et
empreinte de certitudes plus mystiques que tactiques. Certes, la pensée de
Du Picq fut quelque peu déformée par les tenants de l’offensive à outrance
qui négligèrent de nombreux aspects de son œuvre [76] pour ne mettre en
exergue qu’une conception étriquée de ses théories et ne retenir en définitive
de Charles Du Picq que cette maxime réductrice : « Celui-là l’emporte
qui sait par sa résolution marcher en avant. » [77]
Après de brillantes études et un début de carrière militaire
dans l’artillerie, Ferdinand Foch [78] deviendra l’une
des plus grandes figures militaires de la Première Guerre mondiale. Il exerça
également une influence intellectuelle primordiale au sein de l’état-major
français avant la guerre, en tant que professeur de tactique et de stratégie
militaire à l’École supérieure de guerre. Dès le début de son principal ouvrage [79] ,
Foch réfutait le postulat selon lequel, « la guerre ne peut s’apprendre
que sur le champ de bataille (…) Le vieil axiome que seule la guerre peut
apprendre la guerre est faux, car aucune étude n’est possible sur le champ de
bataille où simplement on fait ce que l’on peut pour appliquer ce que l’on sait » [80] .
Foch soutenait qu’il convenait ainsi de s’inspirer du modèle allemand de
formation des officiers et de reconnaître que « la guerre est plus une
science qu’un art », prenant ainsi à contre-pied le conservatisme latent
du haut-commandement français. Cependant, même si Foch reconnaissait qu’une
réforme inspirée de l’exemple allemand pouvait présenter des avantages, l’élaboration
d’un plan de bataille méthodique à l’exemple du kriegspiel était, selon
lui, inutile et même dangereuse. Le désastre de 1870 aurait pu être évité si le
haut-commandement, dont Foch dénonçait au passage l’impéritie, avait pris
conscience suffisamment tôt des risques et des limites du plan allemand [81] . Foch préconisait
d’avancer et de choisir en chemin, selon les circonstances, les moyens d’atteindre
l’objectif final. Il reprochait aussi aux responsables militaires français de
ne pas avoir compris que la défaite de 1870 marquait une transition
fondamentale, celle de la guerre limitée vers la guerre absolue. Pour Foch, le
fondement même de la défaite française de 1870 résidait dans l’efficacité de la
stratégie offensive allemande, qui consistait à aller de l’avant en
recherchant, selon le principe clausewitzien, la bataille décisive et l’anéantissement
des forces ennemies, face à l’absurdité de la stratégie française, pour qui une
attitude défensive à l’abri d’un vaste réseau de fortifications ne constitua qu’un
avantage illusoire. Au cours de ses enseignements, Foch s’efforça d’imprégner
ses élèves de l’importance de l’initiative, de la liberté d’action abstraction
faite du comportement de l’ennemi. Le principe clé de la bataille était celui
de l’économie des forces. Ce terme ne signifiait pas une utilisation peu
coûteuse des troupes, mais leur utilisation massive en un endroit donné, contre
un objectif précis, c’est-à-dire le point faible du dispositif ennemi. Il
fallait éviter une trop forte dispersion des forces, ne pas chercher à tout
défendre, accepter la prise de risques calculés. L’offensive était toujours
très risquée, mais c’est en elle que résidait la clé de la victoire. « L’action,
en tactique devient la loi primordiale de la guerre. » [82] Toute la théorie
de Foch s’articulait autour de l’impérative nécessité d’attaquer. « On s’engage
partout ; le combat engagé, on le soutient partout ; les forces s’usant,
on les renouvelle, on les remplace, on les augmente. Comme effet, c’est une
usure constante, successive contre laquelle on lutte jusqu’à ce que le résultat
sorte d’une ou de plusieurs actions heureuses des combattants. » [83] Puis reprenant les thèses défendues par Du Picq, il affirmait : « C’est
moralement que se perd une bataille. Mais alors c’est aussi moralement qu’elle
se gagne, et nous pouvons prolonger l’aphorisme par : une bataille gagnée,
c’est une bataille dans laquelle on ne veut pas s’avouer vaincu. » [84]
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