La grande guerre chimique : 1914-1918
recherche « officiel » au KWI. Quant à IG
Farben, la société était le partenaire naturel de ces projets dans la mesure où
elle offrait au gouvernement et aux militaires allemands un potentiel de
recherche et de production unique et, surtout, immédiatement disponible. La
direction des programmes fut donc dévolue à l’Institut berlinois tandis que les
recherches et la production des toxiques étaient confiées à l’entreprise
chimique. De nombreuses substances étaient ainsi élaborées et produites dans
les laboratoires et les usines de l’IG Farben à Leverkusen, puis expédiées vers
Berlin, où la décision était prise quant à une éventuelle utilisation militaire
dudit composé. Le rôle de IG Farben fut d’autant plus important qu’au début du
conflit, il importait au gouvernement allemand de mettre en place des
structures militaires et civiles étatiques capables de coordonner et de mener
les recherches sur les modalités de la guerre chimique. Cela prit naturellement
quelque temps et, pendant cette période de transition, l’énorme potentiel de la
société allemande se révéla fort précieux. Ce sont notamment les chercheurs de
Leverkusen qui élaborèrent les premiers obus chimiques allemands au début de l’année
1915. Les laboratoires de Leverkusen employaient près de 1 500 chercheurs
avant 1914 et ce nombre doubla au cours des deux premières années du conflit.
Le P r Haber s’empressa de renforcer son
équipe de recherches en faisant appel à des chimistes de renom, dont les P rs Richard
Willstätter, Carl Neuberg et Adam Bickel, et Fritz Epstein (son assistant
personnel), qui le rejoignirent au sein du KWI. Fritz Haber avait une
conception très autocratique de la manière dont il convenait de diriger les
recherches et, jusqu’à la fin du conflit, il régna en maître incontesté sur le
Kaiser Wilhelm Institut, décidant seul des orientations scientifiques et
conservant dans tous les domaines un pouvoir de décision absolu. Seule la
croissance des structures de recherches de l’Institut au fil des hostilités
obligea Haber à déléguer aux chercheurs les plus compétents une partie de ses
responsabilités.
Les firmes chimiques allemandes se montrèrent
particulièrement efficaces. Un grand nombre de toxiques furent produits par les
sociétés Farbwerke Höechst et Bayer, qui doublèrent progressivement les
effectifs de leurs laboratoires, comptant 600 chercheurs chacun en 1917 [248] .
L’une des entreprises les plus actives dans ce domaine fut la Badische Anilin
und Soda Fabrik (BASF), dont les travaux sur le nitrogène se révélèrent en tous
points remarquables. L’existence du gigantesque complexe chimique industriel de
la Ruhr fut une véritable aubaine pour le gouvernement allemand. Contrairement
aux États alliés, il ne fut pas confronté aux difficultés inhérentes à l’édification
de structures publiques capables de mener à la fois les recherches sur les
agents chimiques et leur production massive. On l’a vu, les dirigeants d’outre-Rhin
se contentèrent de confier la coordination de ces tâches à un Institut public
lié au ministère de la Guerre, le KWI, et se reposèrent sur le secteur privé
pour assurer la totalité de la production ainsi qu’une partie des recherches.
Dans les premiers mois du conflit, la firme Bayer fut la plus sollicitée pour
la production de substances chimiques de guerre. Ce « favoritisme »
tenait largement aux relations privilégiées entretenues par son directeur, Cari
Duisberg, avec l’OHL. Au fil des mois, toutes les grandes entreprises de la
chimie allemande (BASF, IG Farben, Farbwerke Höescht, Agfa) furent intégrées au
programme chimique de guerre. Bayer demeura jusqu’à la fin du conflit, avec
BASF, l’un des principaux producteurs allemands de toxiques de guerre. Grâce à
la puissance de la chimie allemande, le gouvernement ne jouait bien souvent que
le rôle d’un simple contractant auprès de son industrie chimique privée. Entre
1915 et novembre 1918, Bayer produisit 14 047 t de chlore, 7 952 t
de diphosgène, 6 709 t de sulfure d’éthyle dichloré, 2 671 t
de chloropicrine et 938 t de phosgène. BASF produisit 23 600 t de
chlore (ce chiffre comprend aussi le chlore à usage non militaire), et 10 682 t
de phosgène [249] .
Dans un premier temps, la structure opérationnelle de la
guerre chimique sur le front découla d’une simple coopération directe entre l’OHL
et le P
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