La grande guerre chimique : 1914-1918
r Haber. Il est d’ailleurs avéré que le scientifique
berlinois supervisa lui-même les premières émissions de gaz en avril-mai 1915
tant sur le front occidental qu’oriental. Il fut de surcroît à l’origine de la
création d’unités spécialisées de guerre chimique. Au cours de cette même
année, le P r Haber devint conseiller de l’OHL pour les
questions chimiques. Dans ses mémoires, Ludendorff reconnaissait à propos des
lâchers de gaz du printemps 1915 que « le P r Haber
fut d’une aide particulièrement précieuse lors de l’utilisation des gaz » [250] .
Cette double responsabilité exercée par Fritz Haber (militaire et scientifique)
fut sans conteste pour beaucoup dans la qualité du programme chimique allemand.
On notera cependant la présence omnisciente exercée par Haber dans cet aspect
de la guerre et sa réticence à déléguer les responsabilités furent, dans le
même temps, faute d’une contradiction scientifique potentiellement stimulante,
à l’origine des quelques erreurs commises par la recherche allemande.
Néanmoins, la principale faiblesse des structures allemandes de guerre chimique
résidait dans les liaisons entre la recherche fondamentale et les militaires,
uniques utilisateurs des matériels et des substances chimiques élaborés au sein
du KWI. En de nombreuses occasions, les scientifiques allemands négligèrent les
essais grandeur nature sur des polygones de tirs et se contentèrent des
conclusions établies dans les laboratoires [251] .
Cette négligence fut à l’origine de déboires parfois cuisants.
La complexité de la guerre chimique s’accentuant au fil des
hostilités, les services de recherche au sein du Kaiser Wilhelm Institut s’étoffèrent
de manière ad hoc en fonction des domaines explorés par les chimistes. À
la fin de la guerre, le KWI comptait dix départements distincts. À partir de
1916, Fritz Haber exerça même une nouvelle charge (la troisième) puisqu’il
devint, à la demande de von Wrisberg, responsable des approvisionnements
chimiques au sein du Kriegsministerium (section A10) [252] . Haber désirant une
structure rationnelle et efficace, le département ne regroupait qu’une dizaine
de personnes. La tâche de ces hommes consistait non seulement à assurer un lien
entre les industriels de la chimie et les armées à la fois pour les aspects
techniques et financiers, mais aussi à contrôler la qualité des matériels
(particulièrement les masques respiratoires) livrés aux militaires.
À la mi-mai, au moment où s’achevait la seconde bataille d’Ypres,
la ville était toujours aux mains des Alliés. Les Allemands avaient perdu 35 000 hommes
et « gaspillé » une arme qui aurait pu leur permettre de remporter
une bataille décisive [253] .
Malgré les 350 à 400 t de chlore utilisées entre le 22 avril et le 6 mai 1915,
le mouvement demeurait inaccessible. Quant à la question que nous soulevions au
chapitre précédent, à savoir si la guerre chimique moderne avait commencé à
Ypres, il nous faut répondre par la négative. Des tentatives pour briser la
résistance de l’adversaire au moyen d’agents chimiques avaient eu lieu bien
avant cette date, et cela dès les premiers mois du conflit. L’attaque du 22 avril 1915
constitue incontestablement une rupture, une escalade majeure dans le
développement de cette forme de combat, mais en aucun cas son origine. Le fait
que l’on fixe à tort, à cette date, la naissance de la guerre chimique moderne
tient sans aucun doute au fait que cette attaque fut la première à atteindre
une si terrible efficacité. Si la guerre chimique moderne ne naît pas à Ypres,
sa forme meurtrière y voit cependant le jour. Les partisans de l’utilisation
des armes chimiques pensaient que ces dernières permettraient d’enfoncer le
front ennemi et de mettre ainsi un terme à la désespérante immobilisation des
combats. Les effets de la nappe de chlore à Langemarck prouvaient a
posteriori qu’ils avaient probablement raison. L’erreur fondamentale de l’OHL
fut de ne pas organiser à Langemarck une offensive majeure. En effet, une fois
le procédé dévoilé et des moyens de défense rudimentaires adoptés, les gaz
perdaient l’essentiel de leurs capacités à rompre le front adverse. Ainsi, même
si les belligérants ne le réalisèrent pas immédiatement, l’espoir de la percée
au moyen des gaz naquit et se volatilisa le même jour, à Langemarck, le
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