La grande guerre chimique : 1914-1918
carbone (asphyxiant et incendiaire) qui fut retenu. Sans attendre
les résultats d’essais pourtant souhaitables voire indispensables, le colonel Jackson
ordonna la fabrication de plusieurs milliers de ces grenades. À la mi-mai,
elles étaient expérimentées sur le front et à la fin du mois, 1 250 unités
étaient livrées chaque semaine aux Armées. Il était prévu de porter rapidement
la production à 10 000 exemplaires par semaine. Malheureusement, ces
grenades se révélèrent pour la plupart défectueuses et rapidement, le programme
fut annulé, les stocks détruits [260] .
Les nouvelles attaques chimiques allemandes des 1 er et 2 mai emportèrent finalement les dernières réticences du gouvernement
britannique. La décision de répliquer sur le même terrain que les Allemands fut
entérinée en ces termes laconiques par le Cabinet britannique le 4 mai 1915 :
« Le gouvernement britannique a décidé d’utiliser des méthodes similaires
en représailles. » Dès le 14 mai, Sir Maurice Hankey, secrétaire
du Committee of Imperial Defence, affirmait même que des obus contenant des gaz
avaient été dépêchés sur le front. Il ne s’agissait là que de quelques
munitions que l’on avait hâtivement remplies d’un mélange lacrymogène. Ni leur
nombre ni leur toxicité ne permettaient d’approcher l’efficacité des vagues de
chlore allemandes.
De nouvelles attaques chimiques allemandes furent menées les
1 er , 2, 10 et 24 mai au sud du saillant d’Ypres contre les
hommes de la 1 re division de cavalerie britannique. La plus
importante se déroula dans la nuit du 23 au 24 mai 1915. Un capitaine
britannique du RAMC décrivit l’attaque dans un rapport de la II e armée
de la façon suivante : « L’attaque débuta vers 2 h 45 et
continua sans interruption apparente jusqu’à 7 heures (…). Le gaz, comme
lors des attaques précédentes, semblait être le chlore mais le volume et la
concentration énorme des gaz différaient des offensives précédentes. Il fut
nécessaire de revêtir un masque jusqu’à une distance de 1 600 m de
nos lignes soit 2 400 m des lignes allemandes. Sans ces protections,
les hommes auraient succombé en quelques minutes. » [261] Les premiers
masques, bien que rudimentaires, s’avérèrent précieux et permirent d’enrayer la
panique observée lors des premières attaques. Les officiers allemands ne
tardèrent pas à noter ce changement, comme l’atteste le journal du
lieutenant-colonel de réserve Tattenbach, premier officier d’état-major de la
52 e division (27 e corps d’armée allemand) :
« Le vent permit une autre émission le 24 mai ; mais cette fois,
il n’y eut plus de panique. Il ne fallait plus compter sur la surprise.
Maintenant, nous n’avions plus qu’à jeter les bouteilles de gaz à la ferraille. » [262] Malgré l’efficacité,
réelle mais encore relative, des masques, les officiers alliés éprouvaient les
pires difficultés à imposer à leurs hommes le port des protections
respiratoires jugées par trop inconfortables. Un officier du 1 st Royal
Irish Fusiliers, présent lors de l’attaque du 24 mai, rapporta l’anecdote
suivante : « Vers 7 h 30 deux hommes des Royal Irish
Fusiliers souffrant gravement d’une intoxication par les gaz se présentèrent à
mon poste. Je constatai qu’ils ne portaient pas leurs masques et je leur en demandai
la raison. Ils répondirent avec véhémence qu’ils portaient bien leurs masques
en me montrant leurs protections respiratoires qui pendaient à leurs nuques. » [263] Cet exemple,
pour extrême qu’il soit, illustre néanmoins le trouble qu’a pu susciter l’apparition
soudaine des gaz auprès d’une troupe qui ignorait tout de leur mode d’action.
Dans le même temps, en Grande-Bretagne, les préparations à
la guerre chimique commencèrent. Elles portèrent en premier lieu sur l’élaboration
et la fabrication de masques respiratoires, dont nous étudierons les progrès
plus avant dans ce travail. De nombreux ingénieurs et chimistes furent arrachés
à leur ancienne affectation. Un laboratoire central, sous le commandement du
colonel W. Watson, fut créé au sein de l’état-major [264] . L’agent
chimique employé par les Allemands fut identifié rapidement par les chimistes,
et les services de renseignement de la I re armée britannique
fournirent de remarquables descriptions du matériel de dispersion utilisé par
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