La grande guerre chimique : 1914-1918
provoquant une panique indescriptible parmi les troupes
bavaroises (9 e régiment). Le gaz allemand causa près de 1 500 victimes
dont 70 à 80 mortellement atteintes [378] . Aussitôt après
le désastre, l’état-major ordonna qu’une enquête fût effectuée dans les plus
brefs délais. Non seulement les météorologues s’étaient lourdement fourvoyés dans
leurs prévisions, mais les masques respiratoires dont étaient équipés les
fantassins bavarois s’étaient avérés inefficaces. Les conclusions de l’enquête
révélèrent qu’une grande partie des masques allemands étaient défectueux ;
quoi qu’il en soit, en de nombreux endroits les concentrations de
chlore-phosgène étaient tellement élevées que la protection des masques était
dérisoire ou du moins éphémère. Un incident similaire se produisit quelques
semaines plus tard en Champagne. L’OHL décida en conséquence de renforcer les
mesures de discipline chimique. En partie à cause des incidents du printemps,
la technique des nuées dérivantes fut progressivement abandonnée par l’état-major
allemand à partir de l’été 1916 [379] , au profit d’autres
méthodes de dissémination dont il sera question plus avant dans cette étude. De
fait, la position de l’OHL à l’égard des nuages dérivants se modifia
imperceptiblement. Les unités commandées par Peterson ne furent pas dissoutes,
mais elles furent désormais cantonnées dans une relative inaction.
Une nouvelle attaque allemande par vague eut lieu le 7 avril 1917
dans la région de Limey-Remenauville, non loin de Pont-à-Mousson, contre des
unités françaises de la VIII e armée. Deux émissions successives
sur un front de 4 km causèrent 455 victimes dont 112 décédèrent [380] .
Elles ne furent pas suivies d’attaques de l’infanterie allemande. Il en alla de
même dans la matinée du 23 avril près de Nieuport après trois émissions de
chlore-phosgène [381] ainsi que le 6 juin au même endroit (367 victimes) et le 1 er juillet
dans le secteur de Richecourt. La dernière offensive allemande par nuée
dérivante sur le front occidental se déroula dans des circonstances
particulières, près de Hulluch à l’est de Béthune. À cet endroit précis du
front, les galeries d’une mine de charbon toujours exploitée par les Français
couraient sous la ligne de front passant parfois au-delà des positions
britanniques. Chacun des protagonistes occupait militairement la partie de la
mine qui se trouvait au-dessous de ses tranchées, se livrant une étrange et
sporadique guerre souterraine. Dans la nuit du 25 au 26 septembre 1917,
le 38 e régiment de pionniers libéra dans la fosse n° 8,
occupée par les soldats allemands, quelque 8 t d’un mélange de chlore et
de chloropicrine [382] .
Les fantassins britanniques massés dans les boyaux de cette mine furent
complètement surpris. De plus, les conduits d’aération des puits aspirèrent
littéralement le mélange, qui se concentra (pendant plusieurs jours) dans les
parties les plus basses de la mine (à 350 m sous la surface) où des
soldats britanniques ainsi que des mineurs français ne purent être avertis à
temps et périrent asphyxiés. Quelques attaques (une dizaine environ) eurent
lieu sur le front oriental jusqu’en novembre 1917 contre des forces russes
en pleine débâcle sans produire de résultats probants [383] . La dernière
opération se déroula le 12 novembre 1917 près de Baranovitchi au
sud-ouest de Minsk.
En définitive, honnis les rares cas où la vague de gaz fut
en mesure de frapper un ennemi par surprise ou des troupes non dotées de
protections respiratoires (comme ce fut parfois le cas sur le front oriental),
le bilan militaire des émissions de gaz allemandes se révélait médiocre. Dès la
fin de l’été 1915, les militaires allemands réalisèrent que cette
technique ne leur permettrait pas d’obtenir la percée. Le rythme des
opérations, relativement stable jusqu’à l’été 1916 (environ deux par
mois), se réduisit considérablement après cette date et les émissions à partir
de cylindres tombèrent progressivement en désuétude au cours de l’année 1917.
Notons enfin que, contrairement aux Alliés, les Allemands réalisèrent
immédiatement le peu d’intérêt des petites vagues de gaz et privilégièrent
toujours les opérations de large envergure consommant des quantités énormes de
gaz dont la densité pouvait dès lors saturer les
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