La grande guerre chimique : 1914-1918
documents
préparatoires. Cette situation témoignait de la conception tactique à laquelle
s’étaient rangés les militaires français. Ils considéraient en effet les émissions
de gaz comme une arme d’attrition, de harcèlement de l’ennemi plutôt que comme
une arme permettant d’obtenir cette percée tant espérée. Il est fort probable
que les leçons de la tentative britannique de Loos aient été à l’origine du
revirement des conceptions tactiques françaises à l’endroit des attaques
chimiques par vagues. Ainsi, en l’espace de deux à trois mois, entre la lettre
de Joffre du début décembre 1915 et la première action chimique française,
le rêve d’une possible percée à l’aide des gaz s’était évanouie. Au printemps 1916,
on continuait néanmoins à penser, à l’état-major, que les vagues de gaz
demeuraient une arme redoutable capable d’infliger des pertes importantes à l’ennemi.
Encore une fois, ces convictions se révélèrent largement erronées.
Dans la seconde partie de l’année, les initiatives chimiques
françaises furent dans l’ensemble de plus large envergure [399] . Cela laissait
supposer que la tactique des petites vagues répétées avait montré ses limites
et que l’on avait réalisé le peu d’efficacité de cette méthode. De plus, à
cette date, l’approvisionnement en chlore devenait important et régulier. La
densité de chlore des attaques françaises fut donc portée à des chiffres
oscillant entre 38 et 46 t/km de front. En tout et pour tout, les Français
menèrent 51 attaques par nuage dérivant [400] . Le général Ozil,
dans une lettre en réponse aux questions du sénateur Cazeneuve et du
député Laval, qui furent les seuls élus de la représentation nationale à s’intéresser
de près à cet aspect des hostilités, prétendait qu’à la fin du mois de janvier 1917,
les forces françaises avaient déjà utilisé près de 3 000 t de chlore
sous forme de nuées dérivantes à partir de 70 000 cylindres. On
dispose de peu d’informations fiables sur les opérations chimiques françaises
de 1916, y compris dans les archives officielles de Vincennes. Il est ainsi
très difficile et fastidieux d’évaluer la quantité de chlore réellement
consommée par les forces chimiques françaises [401] , ainsi que leur
impact sur les forces ennemies. Néanmoins, il est probable qu’en raison de la
qualité des masques respiratoires allemands, et de la nature du toxique utilisé
par les Français jusqu’à la fin 1916, à savoir le chlore pur, elles ne
causèrent que peu de victimes. Quelques rapports du 2 e bureau français
et la capture de documents allemands [402] évoquant les
attaques chimiques françaises confirmaient d’ailleurs le nombre peu élevé des
pertes liées à ces nuées de chlore. En effet, les comptes rendus flatteurs
établis par l’IEEC sur la remarquable mortalité provoquée par les émissions
françaises ne semblent pas convaincants et, de toute évidence, ne concordent
pas avec les archives allemandes, du moins celles qui subsistent [403] .
Jusqu’à aujourd’hui la plupart des historiens militaires
affirmaient que les Français abandonnèrent progressivement la technique des
nuées dérivantes à partir de la fin de l’année 1916 et privilégièrent, dès
lors, une autre forme de dissémination des gaz. Cette affirmation est
partiellement inexacte. Il est vrai cependant que l’on dispose de très peu d’informations
sur ces initiatives. Néanmoins, les journaux de marches des compagnies Z
archivés au SHAT permettent d’effectuer un recensement complet des attaques
françaises par vagues de gaz. De fait, si, à partir de 1916, les militaires
français portèrent leur effort sur la dissémination des gaz par l’artillerie,
les attaques par vagues ne furent pas abandonnées pour autant. Entre le mois de
décembre 1916 et le 20 mars 1918, date de la dernière attaque
française par émission de chlore-phosgène, les compagnies Z menèrent en
tout quatorze opérations de ce type [404] , soit un rythme
proche d’une nuée dérivante par mois. En l’absence d’archives plus explicites,
il est malaisé de statuer sur l’impact militaire réel des opérations françaises
par vagues. Il n’est ainsi pas possible d’évaluer les pertes allemandes causées
par les nuages dérivants français. D’une manière générale, et cela est d’ailleurs
implicite à la lecture des archives françaises, les
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