La grande guerre chimique : 1914-1918
l’effet des
gaz. La forteresse demeura aux mains des Russes. Entre le 22 avril et le 6 août 1915,
les Allemands eurent recours à 1 200 t de gaz (chlore ou mélange
chlore-phosgène) dont plus des deux tiers furent utilisés sur le front
oriental. Les conclusions de ces expérimentations étaient mitigées. D’une part,
contre une troupe non protégée, l’arme chimique se révélait efficace dans la
mesure où elle avait la capacité de réduire notablement les capacités de
défense ennemies, mais, d’autre part, le fait d’être, lors de ces opérations,
totalement dépendant des conditions météorologiques réduisait les possibilités
de coordonner de larges offensives de l’infanterie à des émissions de gaz. De
fait, dès la fin de l’été 1915, les stratèges allemands de la guerre
chimique sentaient, mais de manière encore confuse, que, sous cette forme, le
gaz était plus une arme d’attrition qu’une arme tactique [360] . Néanmoins, ce
type d’opérations allait être fréquemment renouvelé jusqu’en 1918. En effet,
après ces succès que l’on pouvait qualifier de relatifs, les Allemands eurent
recours à des procédés similaires à maintes reprises. Ainsi, le 19 octobre 1915
à 8 h 15, au lieu-dit La ferme Alger au sud de Reims, 276 t de
chlore additionné de phosgène (environ 10 %) [361] , contenues dans 14 000 cylindres, furent
libérées en direction des troupes françaises (97 e DT) dans un
vent de nord-ouest soufflant à 2 m par seconde [362] . Le front
chimique s’étendait sur 12 km, soit une densité de 23 t/km. Dans un
premier élan, les forces allemandes s’emparèrent de quelques positions
fortifiées (dont La ferme Alger) mais les soldats français, dotés de leurs
protections respiratoires, demeurèrent calmes et contre-attaquèrent si
vigoureusement qu’à la nuit tombée, le terrain perdu avait été repris. Le
lendemain après-midi, sans plus de succès, les Allemands renouvelèrent leur
tentative sur un front de 3 km entre Prunay et Pompelle à l’aide de 4 400 cylindres
soit 87 t de chlore-phosgène [363] . Enfin, le 27 octobre,
une nouvelle offensive chimique allemande fut menée en deux points distincts
sur un front de 5 km entre Marquises et Prosnes. Les 120 t de
chlore-phosgène contenues dans 5 000 cylindres ne permirent pas d’obtenir
des résultats significatifs mais causèrent plus de 680 victimes parmi les
fantassins français dont 107 décédèrent.
En définitive, le bilan de ces trois attaques successives
était maigre et les positions enlevées à l’ennemi avaient été reprises presque
immédiatement. La seule satisfaction des militaires allemands résidait dans l’ampleur
des pertes causées aux forces françaises. En effet, les trois attaques avaient
causé la mort de 500 soldats ennemis et fait près de 5 200 blessés [364] . L’ampleur des
pertes était évidemment imputable à la médiocre protection offerte par les
tampons respiratoires français. Vers la fin du mois d’octobre 1915, le 36 e régiment
de pionniers de l’armée allemande fut transféré de la Champagne vers Ypres dans
le but d’y préparer une nouvelle attaque chimique. Dans un premier temps, les
cylindres furent installés près du village de Hooge mais la persistance de
vents défavorables incita le commandement allemand à déplacer le site de l’attaque
vers le nord de l’agglomération d’Ypres, entre le canal et le village de
Wieltje. L’installation fut achevée au début du mois de décembre. Les troupes britanniques,
alertées de la nature de l’activité des pionniers allemands et conscientes de
la faible efficacité de leurs protections respiratoires contre le phosgène,
redoutaient l’attaque qui se préparait. La capture puis l’interrogatoire de
plusieurs prisonniers allemands entre le 16 et le 17 décembre amplifièrent
les craintes britanniques. De fait, selon un sergent allemand, les cylindres
contenaient du phosgène pur. Les mesures défensives furent encore renforcées et
les hommes placés en état d’alerte maximum.
Le 19 décembre 1915, à 5 h 15, les
unités allemandes libérèrent, contrairement aux déclarations des prisonniers
allemands, 180 t d’un mélange de chlore-phosgène (dans des proportions
respectives désormais classiques de 75 et 25 %) [365] sur les tranchées
britanniques occupées par les 49 e , 6 e , et 17 e divisions
du 6 e corps d’armée [366] . Sur un front de
4 à
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