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La grande vadrouille

La grande vadrouille

Titel: La grande vadrouille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Georges TABET , André TABET
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même qu’il avait beaucoup de chance : le bain turc ne fonctionnait que deux fois par semaine en raison des restrictions, et, aujourd’hui, c’était jour « avec ».
    Sans demander son chemin, il trouva le vestiaire où il comptait bien rencontrer son ami Mezziane, un gars d’Afrique du Nord, serviable et souriant, qui était jadis préposé à la garde des vêtements. Le brave Mezziane avait toujours proclamé ses sentiments anglophiles et germanophobes à l’occasion de la crise de Munich. Aussi, Reginald savait qu’il pourrait compter sur lui en toutes circonstances.
    Dans l’asphyxiante étuve, dévêtu, les reins ceints d’une serviette éponge, la tête entourée d’un linge chaud, le Squadron-Leader traversa la courette lambrissée de mosaïques et plantée de piliers en marbre. Il recherchait son ami parmi les baigneurs en sueur, presque tous Allemands.
    — Si je suis pris, je suis cuit ! pensait-il avec à-propos.
    Il tomba enfin sur un nouveau garçon de bain à qui il glissa comme un vieux client :
    — Mezziane ?
    L’autre tressaillit en pâlissant.
    — Embarqué ! fait-il. Travail en Allemagne. Il a été raflé, ici même, il y a huit jours…
    C’était là un coup dur pour la faible partie de la R. A. F. qui devait se retrouver au bain turc.
    Reginald se perdit dans la buée, étourdi par la mauvaise nouvelle.

    *
    * *

    L’eau bouillante s’égouttait, paresseuse. La vapeur atteignait les hommes à hauteur des épaules. On eût dit un ballet nébuleux de guillotinés qui allaient et venaient, devisant et transpirant, et dont on n’aurait aperçu que les têtes sectionnées.
    Soudain, au milieu de tous ces visages ruisselants, apparut celui d’Augustin Bouvet. Malgré la terreur qui l’étreignait depuis le matin, il errait dans ce brouillard, une chanson timidement fredonnée aux lèvres, le refrain final :
    —  Tea for two… and two for tea…
    Il ne prononçait pas les paroles et sa voix flûtée chevrotait de peur. Dévisageant toutes ces faces, une à une, il espérait découvrir le chef anglais et lui laisser l’urgent message. Ensuite, il planterait là toutes ces entreprises héroïques pour lesquelles il ne se sentait aucunement doué par la nature.
    Tout à coup, il vit un homme carré de stature, un visage qui rappelait un peu celui du généralissime Staline. De dures moustaches dont le croissant bien ciré pointait militairement.
    — C’est lui ! se dit le candide Augustin, pensant que les grades impliquent forcément un certain aspect physique.
    Il s’approcha du baigneur aux moustaches redoutables, et parvenu tout près de lui, il se mit à fredonner discrètement.
    Il accompagnait son refrain de regards complices, de grimaces entendues, de gestes lourds de sens.
    L’homme, interloqué, crut d’abord qu’on s’adressait à un autre. Quand il comprit que c’était bien à lui, il se demanda ce que cet individu lui voulait.
    Mais les mines d’Augustin étaient tellement insolites et équivoques que l’homme, soudain illuminé d’une pensée choquante, rougit des pieds à la tête et s’éloigna d’un air révolté. Il se sentait offensé dans sa pudeur :
    — Me faire ça à moi ! Un père de six enfants !
    Il n’avait pas fait cinq pas qu’il se trouva nez à nez avec cette fois un autre personnage plus petit, chauve et grimaçant qui, aussi, fredonnait. Et la même chanson, semblable à un signe mystérieux d’initiés. Celui-là avait également des regards appuyés, insistants, allusifs.
    — Décidément, se dit le sosie de Staline, ce bain turc est fort mal fréquenté ! On y est en butte aux assiduités inconvenantes de curieux spécimens d’humanité qui font du prosélytisme.
    Il s’enfuit vers les vestiaires, se promettant de ne jamais remettre les pieds dans ce lieu de débauches inavouables et contre nature.
    Augustin faisait le tour embrouillardé de la salle de sudation sans apercevoir les fameuses moustaches qui devaient lui révéler la présence et l’identité du Squadron-Leader.
    Soudain, alors qu’il reprenait pour la centième fois, à voix basse et cassée :
    —  Tea for two…
    Une autre voix, près de lui, mais séparée par un mur de buée, poursuivit :
    —  Two for tea…
    Précipitamment, Augustin enchaîna :
    —  Me for you.
    Et la voix répondit :
    —  And you for me…
    Plus de doute, le signal avait été donné et reçu. Voilà qu’on se faisait également reconnaître.
    Augustin,

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