La grande vadrouille
guidé par l’oreille, rejoignit la voix. Il vit le petit homme que nous connaissons, Stanislas Lefort. Le peintre fut surpris, de constater qu’il n’avait pas les « big » moustaches promises.
De son côté, le maestro dévisageait le visage glabre du peintre, étonné de n’apercevoir pas même une ombre au-dessus de ses lèvres.
Mais pour les deux, le signal avait joué indéniablement.
Augustin croyait reconnaître un aviateur de la R. A. F. Et le maestro avait également la même certitude.
Ils s’abordèrent avec des simagrées sournoises de conspirateurs.
— Are you ? demanda Augustin, très bas.
— You are ? questionna Stanislas sans répondre.
Chacun tentait de se faire comprendre dans la langue de Shakespeare en pensant que l’interlocuteur n’entendait que celle-là.
Ils se serrèrent la main.
— Happy ! dit Augustin.
— Glad ! dit Stanislas.
Des Allemands passèrent à ce moment devant eux, interrompant du coup leur prise de contact.
Dès qu’ils eurent disparu, Augustin pressé d’arriver au fait, demanda :
— Where is big moustaches ?
Quelque chose se brisa dans la logique d’un dialogue jusque-là impeccable. Stanislas sursauta :
— You don’t know ? But if you don’t know, I don’t know ! No ?
Augustin se sentit pris dans un piège affreux. Il ne parvenait plus à se surveiller, à polir son anglais. Ça n’allait pas du tout selon le plan prévu !
— I don’t understand ! dit-il, effaré et soudain tout tremblant à l’idée qu’il avait fait une fausse manœuvre.
Stanislas, d’un geste, demandait le retour au calme :
— Wait ! I have Mac Intosh clic clac in my closet… come with me, please.
— No ! dit Augustin avec autorité. You come pick up Peter !
Stanislas commençait à perdre patience avec cet Anglais têtu, il en faisait des barbarismes :
— You are « renversing » the roles ! you come Opera pick up Mac Intosh !
Cela aurait pu durer des heures, chacun se maintenant fermement sur ses positions. Augustin était excédé. Il menaça ce Britannique obstiné :
— If you don’t come, je m’en fous ! laissa-t-il échapper.
Stanilas fut éberlué et soudain pris de panique :
— Comment ? Je m’en fous. Vous avez dit : je m’en fous !
— Me ? essayait de répliquer Augustin pour se disculper.
— Oui ! You ! grinça Stanislas. Faut pas me la faire ! Vous êtes French !
— Et vous n’êtes pas English ! siffla le peintre également dessillé.
La méfiance envahit instantanément les deux hommes.
Comme il cherchait à effacer, par une diversion, l’impression désastreuse qu’il avait produite, Stanislas s’en tira par la première idée baroque qui lui vint à l’esprit :
— École Berlitz ? demanda-t-il.
— Non. Méthode Assimil, avoua Augustin saisissant la perche tendue.
— Bravo ! dit Stanislas affectant l’admiration polie.
— Compliments ! dit Augustin calquant son attitude sur celle de son interlocuteur.
Et ils se séparèrent.
Ce n’est que plus tard qu’ils rencontrèrent le Squadron-Leader qui avait d’ailleurs prudemment rasé sa moustache et ne fredonnait pas Tea for two.
Ils le découvrirent dans un des cabinets de toilette. Il venait de se raser. Désirant se rincer le visage, il jura, cuisant par l’eau bouillante :
— God dam it !
Ce rugissement à la John Bull eût pu lui coûter cher s’il eût eu pour témoins d’autres que Stanislas et Augustin.
Mais, en la circonstance, il eut au contraire un effet bénéfique.
Le maestro Lefort apprit à Reginald que deux des parachutistes avaient été capturés à l’arrivée. Mais un se trouvait à l’Opéra.
— J’en ai un, moi aussi, parvint à glisser Augustin entre deux phrases du bavard maestro.
Mais déjà le Chef reparaissait en Stanislas.
— Moi d’abord ! Le nommé Mac Intosh est dans ma loge, enfermé. Il vous attend. Venez en prendre livraison ce soir. Débrouillez-vous.
Et retrouvant vite l’égoïsme invétéré qui fait corps avec les puissants, Stanislas estima avoir ainsi accompli sa mission. Il décida de s’en aller tout simplement.
— Á l’Opéra ! commanda-t-il à un vélo-taxi qu’il trouva opportunément à la sortie de l’habitation.
Il se sentait délivré, tout joyeux. Il ne savait pas ce qui l’attendait.
XV
De tous les nombreux étages du Palais Garnier, les Allemands revenaient au couloir des Etoiles par petits groupes
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