La grande vadrouille
avait la main sur le détonateur. Le chrono sous les yeux, comme pour minuter une performance sportive, Plombin allait donner le signal. Le compte à rebours approchait de l’échéance fatale.
Dans la loge, entouré de militaires d’une circonspecte obséquiosité, Otto Weber soupirait d’aise. On était vraiment bien à Paris ! Béni soit le Führer qui avait fait plier le genou à l’orgueilleuse France. Il trônait là au milieu de cette salle accablée d’or, lui, l’ancien conducteur de tramway de la Künigsplatz de Munich, dans le fauteuil des Présidents de la République française.
C’était pour le blond aryen presque analphabète une merveilleuse jouissance.
Il en était là de ses pensées, n’entendant rien à la musique si ce n’était celle des vulgaires brasseries. Soudain, il aperçut encore sur son revers noir une autre petite poussière jaunâtre, échappée sûrement du feutre d’une étoile de David. Quelle audace ! On avait raison de massacrer ces gens-là !
Du même index justicier, il envoya une pichenette à l’irrévérencieux grain de poussière. Á l’instant, comme obéissant à ce signe, le plafond de la loge s’effondra avec une détonation de poudre mouillée et un nuage de gravats. Le contact, rompu par le fil que Reginald avait arraché, s’était établi à moitié, déclenchant, au lieu d’une foudre meurtrière, ce dérisoire orage de plâtre éclaboussant la loge surmontée de la croix gammée.
Otto Weber se leva d’un bond. Son uniforme noir était blanc des pieds à la tête, pour la deuxième fois de la journée.
Augustin et Reginald, atterrés, se penchèrent et furent horrifiés par ce spectacle qui rappelait au peintre celui du matin.
— Ce coup-ci, c’est pas moi ! balbutiait le peintre pour se disculper, sans se douter que cette phrase aurait pu lui valoir le peloton d’exécution si elle avait été entendue.
Mais personne ne prenait garde à lui.
On s’empressait, en se bousculant, de se porter vivement au secours du grand chef, et l’assurer de sentiments d’indéfectible attachement.
Mais Otto Weber écartait les courtisans d’un geste hautain et, statue de plâtre, se hâtait vers sa voiture.
Une grande confusion s’était emparée de la salle et de l’orchestre.
Á son pupitre, Stanislas Lefort, livide, avait senti immédiatement que l’attentat lui serait attribué. Déjà Achbach et ses hommes s’élançaient pour se saisir de lui.
Il s’enfuit par la seule issue qui lui était disponible, la salle. Il enjamba la balustrade de la fosse d’orchestre et se perdit dans la foule qui quittait le théâtre en désordre.
L’affolement était à son comble parmi les spectateurs germaniques qui, tout surpris, comprenaient que l’occupation n’a pas que des charmes.
Chacun voulait gagner la sortie. Cette détonation n’était peut-être que la première d’une longue série ?
Le maestro, accroupi, rampait entre les fauteuils, mais il se vit bientôt surpris par des sentinelles qui donnèrent l’alerte.
De toute la vitesse de ses jambes, il leur faussa compagnie. Il avait une supériorité sur ses poursuivants, il connaissait à merveille les innombrables couloirs de l’immense théâtre.
C’est ainsi qu’il parvint au deuxième étage. Mais il y tomba nez à nez avec deux soldats menaçants. Son imagination le sauva :
— Dass ist entracte ! Leur annonça-t-il, les yeux terrifiés.
Il fit mine de prendre l’escalier de côté et se dissimula derrière la porte. Les deux feldgendarmes dégringolèrent les marches à sa poursuite.
Dès qu’ils eurent disparu, Stanislas bondit hors de sa cachette et s’enfuit à travers la galerie.
Mais il tomba dans les bras de deux officiers allemands qui l’immobilisèrent d’une poigne féroce.
— Ce n’est pas moi ! hoqueta Stanislas.
— Mais c’est moi ! dit l’un des officiers qui n’était autre que Reginald.
— Et c’est moi ! dit Augustin.
Le maestro soupira de joie :
— Ah ? Eh bien alors, c’est moi !
— Faites semblant d’être notre prisonnier, ordonna Reginald à voix basse.
Et c’est ainsi, solidement encadré par deux officiers supérieurs allemands, que le chef d’orchestre de l’Opéra traversa tous les couloirs, prisonnier, abattu, jouant superbement le traître démasqué.
Sur leur passage, des Allemands tendaient le poing au terroriste, et félicitaient les héros pour leur capture.
Arrivés sous le grand
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