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La grande vadrouille

La grande vadrouille

Titel: La grande vadrouille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Georges TABET , André TABET
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ouvrit la bouche, lui tira la paupière :
    — Langue blanche, œil jaune, nez rouge…
    Rejetant la couverture, elle palpa l’abdomen avec dureté, et trouva un point sensible sur lequel elle appuya le doigt avec force.
    — Aïe ! cria le Squadron-Leader, qui souffrait réellement.
    — Vous aimez tout ce qui est bon ? demanda-t-elle avec ménagement.
    Il fit « oui » de la tête, grimaçant de douleur.
    — C’est très mauvais ! Pas de doute : c’est le foie, conclut-elle résolument.
    Elle s’avisa de l’ausculter, collant l’oreille au dos de l’aviateur :
    — Toussez ! ordonna-t-elle. Dites « trente-trois »…, « trente-trois ».
    Affolé, craignant à juste titre d’être trahi par son accent le Squadron-Leader interrogea du regard Sœur Marie-Odile qui venait d’arriver, écartant les autres religieuses pour se placer au premier rang. La jeune femme esquissa un léger sourire de connivence, qui signifiait « rien à craindre ».
    Reginald, alors, dans un souffle, glissa à l’oreille de la Mère Supérieure :
    —  Thirty-three, thirty-three, thirty-three…
    La doctoresse, fort interloquée, releva la tête.
    — C’est moi qui ai fait entrer ces deux « urgences », ma mère…, celui-là, et l’autre à côté, prononça vivement Marie-Odile d’un ton appuyé, allusif.
    La Mère Supérieure, résistante clandestine, approuva.
    — Oui… oui… et vous avez bien fait. Je ne vois qu’un remède : changement d’air immédiat.
    C’est ainsi qu’à l’époque on avertissait les amis qu’ils devaient fuir.
    — Je m’en occupe tout de suite, ma mère, assura vivement Marie-Odile.
    La Mère Supérieure, un sourire flottant sur ses lèvres, allait se retirer quand elle se ravisa, pleine de bonhomie.
    — Dites-moi, mon pauvre ami, dit-elle sérieusement à l’Anglais, il faudra quand même me surveiller ce foie…

    *
    * *

    Reginald, sur un chariot de malade, traversait le dortoir, poussé par Marie-Odile.
    — Ma sœur…, dit-il d’une voix mourante.
    — Mon fils ?
    — Vous savez… que… je ne me sens pas tellement bien, dit-il comme si la prescription médicale lui avait révélé soudain une maladie cachée.
    — Nous sommes tous entre les mains du Seigneur ! répliqua-t-elle promptement.
    — Les mains du Seigneur, je veux bien…, mais pas celles de la Mère Supérieure ! Elle m’a fait trop mal en appuyant sur mon estomac.
    Et comme le chariot passait à côté des casiers de vins où s’alignaient les chaleureuses bouteilles, il rafla, à portée de sa main, un bon flacon de Bourgogne qu’il glissa sous sa couverture en disant : j’ai besoin de ce médicament !
    Dans le royaume souterrain des Hospices de Beaune, sous les voûtes étoilées d’ampoules électriques, les barriques se suivaient en rangées disciplinées. Tous les crus de vin vivant, sensible, étaient classés dans des casiers poussiéreux.
    La Mère Supérieure avait apporté des vêtements civils pour les deux aviateurs.
    Les sœurs s’affairaient autour de deux fûts, achevant de les aménager à coup de marteau et de burin.
    Armée d’un vilebrequin, une Religieuse perçait des trous à air dans le bois, afin qu’on puisse respirer de l’intérieur.
    Deux barriques pleines se dressaient près des deux fûts vides. La Mère Supérieure désigna ces derniers :
    — Entrez là… ; c’est là-dedans que vous allez passer la zone.
    — Dans ces tonneaux ? objecta Reginald amusé.
    — C’est un honneur, Monsieur ! décréta lyriquement la doctoresse, vous allez voyager comme un grand vin français.
    — Et Peter ? demanda le Squadron-Leader.
    La Mère Supérieure prit son ton de chirurgien en salle d’opération :
    — Sœur Marie-Odile a une mauvaise nouvelle à vous annoncer… On nous a téléphoné… Votre camarade Peter a été arrêté par les Allemands dans le train…
    Reginald reçut le coup en plein cœur.
    — Quant à vos amis français, poursuivit la Mère Supérieure, ils n’ont pas pu revenir ici, mais ils sont passés par une autre filière… Á cette heure-ci, ils doivent être en zone libre.
     
    *
    * *

    Hélas ! contrairement à cette précision, Stanislas et Augustin, capturés par les Allemands, avançaient dans les bois, encadrés par la patrouille. On leur avait passé les menottes.
    Les chiens eux aussi avaient été faits prisonniers et suivaient flairant le vent, les museaux graves, les oreilles mélancoliques.
    La

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