La guerre de l'opium

comme le ciel et stable comme la terre   ! Puissions-nous l’être, toi et moi. C’est tout ce que je peux nous souhaiter   ! Que dirais-tu d’une promenade en barque sur le lac de l’Ouest, pour oublier nos enfers   ?
    —  J’en serais ravie…
    Laura l’eût désormais suivi au bout du monde.
    Après les excès de la pagode, le spectacle de la rue, pour une fois, sembla apaisant à Laura.
    —  Toutes les grandes villes ressemblent à des fleurs qui éclosent le matin, s’ouvrent au milieu de la journée et se referment le soir… murmura La Pierre de Lune.
    Une troupe de mendiants en guenilles se précipita vers eux. Sans doute ces gueux étaient-ils persuadés qu’un couple aussi jeune et beau, à défaut d’être riche, ne pouvait qu’être généreux. La Pierre de Lune vida ses poches de ses maigres économies, et Laura fit de même avec son porte-monnaie.
    —  Il ne faut pas se fier aux apparences… Ainsi l’Immortel Li Tieguai va toujours en guenilles avec sa gourde et sa béquille, ce qui ne l’empêche pas d’être capable de monter sur les épaules de Cai Shen, le dieu des Richesses, et de le mener là où il veut… dit La Pierre de Lune.
    Elle le regarda avec affection. Il n’avait pas besoin de parler pour lui répondre tellement ses yeux exprimaient de la tendresse. Sa main était contre la sienne, douce et tiède. Rassurante. Ils se frôlaient. Elle sentait près d’elle son corps prêt à s’enflammer.
    Lorsqu’ils arrivèrent, leurs mains toujours unies, sur les bords du plan d’eau, la chaleur était si écrasante que la plupart des promeneurs s’y reposaient, allongés dans l’herbe à l’ombre des saules pleureurs. Au moment où ils louaient une barque, l’immense pointe de flèche d’un vol de grues troua le ciel azuréen que sa densité lumineuse rendait presque palpable.
    —  La grue porte bonheur… murmura La Pierre de Lune.
    Après avoir aidé Laura à s’asseoir sur la planche située à l’avant de l’esquif, il se mit aux rames.
    Leur barque commença à glisser, tel un compliment, sur l’éblouissante beauté du plan d’eau vert émeraude qui brillait au milieu de la verdure, telle une gemme à laquelle les plantes et les arbres eussent servi d’écrin.
    Pour nos deux tourtereaux, qui n’en finissaient pas de se regarder dans le blanc des yeux, le climat et le cadre ambiant étaient propices à l’éveil des sens.
    —  Tu vois cette petite île, au milieu du lac   ? fit-il en désignant un monticule de mousse de couleur jade qui émergeait, comme une bosse, à la surface des eaux.
    —  Oui   !
    —  Il m’est souvent arrivé d’aller y faire la sieste…
    L’allusion était-elle suffisante   ? se demandait La Pierre de Lune en serrant de toutes ses forces son étui à pinceau pour se donner du courage. Après tout, elle s’était déjà laissée aller à poser sa tête contre son épaule et il brûlait d’envie de la prendre à son tour dans ses bras et de l’y serrer.
    —  Emmène-moi là-bas. Moi aussi, j’ai envie d’aller voir… lui souffla Laura, qui non seulement avait compris, mais tenait aussi à lui montrer que son désir était réciproque.
    La Pierre de Lune sortit de sa poche le mouchoir rouge de son père dans lequel était enveloppé son étui à pinceau.
    —  Pourquoi sors-tu ce mouchoir   ?
    —  Je le sors parce qu’il est rouge   !
    —  Ah bon   ?
    —  La couleur rouge symbolise le bonheur et la joie. Pour féliciter les parents après la naissance de leur enfant, on offre des œufs peints en rouge   ! expliqua alors le jeune Chinois qui avait le plus grand mal à ne pas laisser sa voix trembler.
    Il voulait tout simplement que la suite de l’histoire fût à la hauteur du début de son début…
    Quelques instants plus tard, ils débarquèrent d’un pas léger sur l’îlot de jade. La Pierre de Lune arrima leur bateau à un rocher troué comme de la dentelle. Grâce à des arbres nains disposés entre des pierres savamment taillées, les jardiniers du lac de l’Ouest avaient reconstitué un paysage miniature d’un réalisme saisissant. Ceinte par des montagnes lilliputiennes, une minuscule plaine engazonnée s’étendait au beau milieu de l’îlot. C’était là, à l’abri des regards indiscrets, que le jeune Chinois était déjà venu se reposer.
    Le doux lit de verdure, où des papillons aux ailes bleues ourlées de noir jetaient de petites ombres mouvantes, les invitait à le