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La guerre de l'opium

La guerre de l'opium

Titel: La guerre de l'opium Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jose Frèches
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établissaient chaque année et qui donnait lieu à un rapport confidentiel adressé par chaque provincial au supérieur général. Au nom de la charité chrétienne, tous les coups étaient permis dans cette impitoyable compétition.
    Sans compter, ce qui était beaucoup plus ennuyeux pour Freitas, que la dégringolade de Shanghai dans ce maudit classement eût inéluctablement déclenché une « grande inspection   » dont Freitas n’osait pas imaginer les conséquences, tant elles pouvaient s’avérer catastrophiques. Lorsqu’ils procédaient à une « grande inspection   », les envoyés spéciaux du général passaient tout au peigne fin, depuis les activités des pères jésuites concernés jusqu’aux stocks de biens possédés par la communauté. Comparée à ces procédés inquisitoriaux, la visite du père Juan de Suarez n’était qu’une aimable plaisanterie… Les interrogatoires à charge, destinés à faire craquer les intéressés, pouvaient durer des heures, au point que certains jésuites allaient jusqu’à s’accuser de fautes qu’ils n’avaient pas commises.
    Et en matière de fautes, Freitas en avait commis une énorme, si énorme même qu’elle était inavouable.
    Il se mit à claquer des dents et, de peur que Suarez s’en aperçût, mit sa main devant sa bouche.
    Dans les moments de doute, lorsque la volonté vacillait, il s’adonnait toujours au même exercice spirituel consistant à se dire qu’il avait le sens du devoir ; que jésuite il était et qu’il comptait bien le rester jusqu’à la fin de ses jours, mais que cela n’excluait pas de se comporter comme un homme qui entendait maîtriser son propre destin…
    Ce dédoublement de la personnalité le faisait osciller entre des phases d’optimisme et de profond abattement.
    Certains soirs, et même s’il croyait dur comme fer à la miséricorde divine, il se voyait en horrible pécheur promis aux flammes de l’enfer. Mais le lendemain, il se sentait ragaillardi par la mission qui était la sienne.
    Freitas n’avait pas choisi d’être jésuite. Abandonné par ses parents dès la naissance, il avait été élevé à Lisbonne dans l’orphelinat des « Enfants de Dieu   », juste derrière le fameux monastère des Jéronimites. Au milieu des azulejos, ces carrelages bleus formant de magnifiques scènes de paysage, et des grimoires vantant les conquêtes maritimes de ce pays minuscule dont les héroïques navigateurs avaient parcouru toutes les mers du globe, le nom de Freitas Branco lui avait été donné par une vieille fille issue de cette noble famille portugaise, également généreuse donatrice de cet orphelinat.
    Les plus doués des pensionnaires de cette institution tenue par les jésuites auxquels elle servait de vivier passaient directement de celle-ci au noviciat. Cela avait été le cas du jeune Diogo, qui avait donc été ordonné prêtre sans que personne ne lui eût véritablement demandé son avis et expédié en Chine dix ans plus tard, toujours sans avoir eu son mot à dire.
    Ainsi Freitas exerçait-il un métier qu’il n’avait pas choisi.
    Mais ce n’était pas un métier comme les autres. Il était devenu un soldat de Dieu ayant professé des vœux sacrés.
    Et quand on était un soldat de Dieu, envoyé par les plus hautes autorités vaticanes sur cet immense champ de bataille qu’était la Chine, la fin justifiait les moyens. Lorsqu’il mettait en œuvre ses stratégies visant à enrichir la Compagnie de Jésus, Diogo n’avait rien à regretter puisque c’était au nom du Christ qu’il agissait. Mais pour autant, comme il n’avait pas choisi cette voie en exerçant son libre arbitre, ce ne pouvait être là, selon lui, une tâche exclusive.
    Il entendait bien, à côté, mener sa « vie d’homme   », même si cela interférait de temps à autre avec celle de soldat de Dieu…
    Au fil des mois, il s’était d’ailleurs fort bien accommodé de cette dichotomie, qu’il n’avait eu aucun mal à théoriser et à justifier depuis qu’il avait découvert l’existence du Yin et du Yang.
    Comme le principe dual taoïste, Diogo de Freitas Branco avait deux faces : celle du soldat de Dieu et celle de l’homme libre.
    Mais cela n’empêchait pas le jésuite madré et dur à cuire de craindre que ce double visage ne fût révélé au grand jour.
    À Rome, ils n’admettraient jamais son comportement, fut-il inspiré du Yin et du Yang. Ils le traiteraient comme le dernier des pécheurs et

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