La guerre de l'opium
transformée en une joie sans bornes, délirante. Elle avait tout simplement découvert cet « ailleurs » où, avant de rencontrer Tang, elle ne s’était jamais autorisée à pénétrer pour la simple raison qu’elle n’avait jamais connu d’homme.
L’« ailleurs » est ce territoire ineffable où les frontières du plaisir absolu peuvent être indéfiniment repoussées. De ce moment rare, où les sens sont si exaltés qu’on a l’impression d’être l’autre, Tang lui avait offert la clé. Et Jasmin Éthéré, qui avait pris goût aux délices du Heqi et de sa « montée en fusion », s’était juré qu’elle lui en serait indéfectiblement reconnaissante…
Sa seule crainte était de ne devenir pour Tang qu’un simple objet de désir, qu’un corps de plus à sa disposition et lui permettant, grâce à ses qualités acrobatiques, d’assouvir tous ses fantasmes.
Ce jour-là, elle aviserait, car elle n’envisageait sa relation avec lui que de façon équilibrée, l’un donnant à l’autre la même dose de plaisir et de soumission.
Dans l’angle de la pièce, la veilleuse continuait à luire doucement. Tang avait sans peine obtenu d’elle qu’ils fissent toujours l’amour avec la lumière car regarder l’autre jouir décuple sa propre jouissance.
Elle s’étira longuement et croisa ses jambes derrière sa tête en les coinçant à la hauteur des chevilles. Propice à la méditation, cette position - dite de la « grenouille » - était la plus relaxante après le chamboulement du corps provoqué par la « montée en fusion ».
— Tu es déjà réveillée, mon amour ?
Tang venait d’ouvrir un œil. Il tendit le bras vers elle, l’empoigna doucement et la fit asseoir à califourchon sur son ventre. Aussitôt, elle se mit à onduler en riant, imitant le cavalier en selle sur un cheval au galop.
La cavalcade d’un pur-sang, une fois déclenchée, devient très vite irrépressible. Dans la steppe qui est son milieu naturel, le cheval sauvage avale les distances comme il avale le vent. À l’époque des Royaumes Combattants, on prétendait même qu’ils suaient le sang lorsqu’ils finissaient par s’arrêter, les naseaux noyés dans l’écume.
Elle se dégagea rapidement et s’assit à côté de lui. Ce n’était pas le moment. Il y avait un temps pour tout et l’amour méritait qu’on s’y consacrât pleinement. Or, ce matin-là, ils avaient à faire.
— N’oublie pas que Sérénité Accomplie nous a demandé de le remplacer à son rendez-vous… Tu sais, ces nez longs soi-disant pleins aux as… murmura-t-elle tout en lui mordillant l’oreille.
Deux jours plus tôt, comme tout bon antiquaire, Sérénité était parti en tournée de prospection. Ce voyage prévu de longue date le contraignant à s’absenter de Canton pendant quelques jours, il avait demandé à Tang et à Jasmin Éthéré de bien vouloir accueillir à sa place de riches clients étrangers qui devaient visiter le magasin.
— Je sais… se borna à répondre Tang qui n’avait pas l’air dans son assiette.
— Tu sembles triste… Aurais-tu par hasard du vague à l’âme ?
C’était la première fois que la jeune contorsionniste voyait son amant chiffonné. Après quelques secondes d’hésitation, le long soupir que poussa Tang acheva de la convaincre que quelque chose n’allait pas.
— Plus les semaines passent, et moins je crois que je réussirai à mettre la main sur La Pierre de Lune. Je finis par me dire que je ne retrouverai jamais sa trace… soupira-t-il.
Depuis leur arrivée à Canton, Tang n’avait cessé d’essayer de prendre, ici et là, des nouvelles du fils de Daoguang, mais sans le moindre résultat. La ville était immense et, faute de pouvoir compter sur le concours de la police secrète, mettre la main sur cet enfant devenait une gageure dont Tang, au demeurant, avait le plus grand mal à admettre qu’elle pût fort bien se révéler impossible.
— - Je suis sûre que tu vas finir par y arriver… fit-elle en venant se blottir contre lui.
— Il ne s’agit pas de capturer une tortue dans une jarre, ô ma douce Jasmin Éthéré… mais plutôt de trouver l’huître perlière au milieu de ses milliers de consœurs qui ne possèdent pas de joyau ! lâcha-t-il avec un pâle sourire.
— Ta cause est juste. Les justes causes finissent toujours par triompher.
— J’ai honte de ce que j’ai fait ! J’ai mal agi. Certains
Weitere Kostenlose Bücher