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La guerre de l'opium

La guerre de l'opium

Titel: La guerre de l'opium Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jose Frèches
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Et d’abord, qui êtes-vous   ? s’écria-t-elle en laissant exploser sa colère.
    —  Je m’appelle Liang mais mon nom vous importera peu. Vous êtes dans les locaux de la police impériale de Canton. Répondez-moi, Jasmin Éthéré : qu’est-ce que le prince Tang est venu faire ici   ?
    —  Ce nom de Tang m’est totalement inconnu. J’ignore tout de cet homme   !
    —  Inutile de mentir au chef Liang. Cela fait plusieurs jours que nous surveillons la maison de Sérénité Accomplie. Nous savons que vous partagez la chambre dudit prince Tang. Pékin nous a prévenus que le prince a fait défection. Mentir à un officier de police qui détient des preuves est un acte puni de mort.
    Abasourdie par les propos de son interlocuteur, Jasmin Éthéré mesurait à quel point, lorsqu’on n’a rien à se reprocher, le fait d’apprendre qu’on a été épié constitue un terrible choc.
    —  Dans ce cas, pourquoi m’interrogez-vous   ?
    Liang réitéra sa question quant à l’objet de la présence de Tang à Canton.
    —  Vous allez sûrement être déçu, mais je ne vous dirai rien de plus… lâcha-t-elle, bien décidée à ne pas sortir du mutisme dans lequel elle comptait se draper.
    L’homme chétif tira sur sa pipe puis, après en avoir avalé la fumée avec délectation, lui dit sur un ton nonchalant :
    —  C’est ce que nous verrons   !, en même temps que, d’un simple geste, comme on repousse un importun d’une pichenette, il faisait signe à deux gardes d’emmener la jeune femme.
    Lorsque la contorsionniste fut jetée dans l’une des cages du long couloir, elle ne put s’empêcher de hurler. Happée par un magma humain, elle se retrouva palpée sous toutes les coutures par des mains poisseuses avant d’être aspirée vers le fond du cachot comme par un souffle fétide. Faute d’éclairage, il lui était impossible de dire combien de prisonniers s’entassaient dans cette geôle dont le sol de terre battue était jonché d’excréments. Pelotée par des dizaines de mains, elle finit sa course contre un mur qu’elle heurta violemment de la tête. Au bout de quelques secondes, elle réussit, hagarde, à reprendre son équilibre.
    Ils devaient être entre quinze et vingt à faire cercle autour d’elle, tous plus crasseux et hâves les uns que les autres, à moitié nus dans leurs vêtements en lambeaux, loques humaines affamées aux yeux démesurément grands et à la maigreur squelettique, à la dévisager d’un air soupçonneux et, pour certains, carrément hostile.
    —  C’est une meuf   ! La police ne coffre jamais aucune gonzesse   ! Quel crime abominable a-t-elle dû commettre pour se retrouver ici   ! s’exclama l’un d’eux dont la vulgarité était à l’image du désastre constitué par une bouche chaotique totalement édentée.
    —  C’est maintenant que tu t’en aperçois, on voit bien que tu ne l’as pas encore tâtée   ! ajouta un autre, dont les mains noirâtres et graisseuses s’étaient longuement attardées sur la jolie poitrine de la contorsionniste.
    —  Je vous préviens, celui qui osera me toucher le regrettera amèrement   ! hurla-t-elle poings serrés, prête à défendre chèrement sa peau, sans se rendre compte qu’il lui était impossible de mettre sa menace à exécution.
    Deux policiers, qui, jusque-là, rigolaient en observant la scène depuis le couloir, pénétrèrent alors dans le cachot en faisant claquer leur fouet. Aussitôt, le calme revint et le magma humain se dispersa, comme la boue sous le jet d’eau.
    —  Suffit pour aujourd’hui   ! Laissez cette femme tranquille, sinon gare à vous   ! tonna l’un des flics.
    —  On va te faire une petite place entre nous. Ici, elles sont chères   ! chuchota une voix venue de la pénombre, après le départ des deux policiers.
    Jasmin Éthéré dessina mentalement sur le sol un carré imaginaire puis s’accroupit et rassembla ses jambes, avant de placer ses pieds sur ses cuisses et de prendre la position du lotus. Lorsqu’elle avait besoin de remettre son esprit en ordre, elle adoptait toujours la posture des adeptes de la méditation transcendantale. Elle les avait souvent observés dans les pagodes du Grand Véhicule : ils étaient capables de passer des jours entiers immobiles et les yeux clos devant la statue d’un boddhisattva ou d’un bouddha. Quand ses torsions étaient trop éprouvantes pour ses articulations, le lotus lui procurait un apaisement immédiat.

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