La guerre de l'opium
étendit les bras et constata que ses deux mains touchaient les murs. Une goutte d’eau s’écrasa sur son nez. Le minuscule réduit où elle était enfermée n’était pas plus grand qu’une caisse et suintait l’humidité. Au moins y était-elle seule, se dit-elle pour se consoler. Décidée à essayer de trouver le sommeil, elle se pelotonna dans un coin de la cellule.
C’est alors qu’elle entendit un bruit de voix.
Elle tendit l’oreille et se leva pour aller voir.
— Heps ! Heps ! Il faut qu’on se parle ! chuchotait la voix en question.
Quelqu’un était collé au grillage du cachot opposé et les yeux de Jasmin Ethéré, désormais habitués à la pénombre, arrivaient même à distinguer son visage.
Il s’agissait d’un homme à l’allure plutôt jeune. Un Han - trahi par sa longue natte et son crâne soigneusement rasé - aux yeux particulièrement bridés qui lui donnaient cet air perpétuellement souriant qu’ont de nombreux Chinois, y compris dans les circonstances les plus tragiques ou les plus déplaisantes.
— Pourquoi es-tu emprisonnée ? Tu as été prise à fumer l’opium ? demanda l’homme en question.
— Non ! L’opium, c’est pas mon truc… souffla la jeune contorsionniste.
— Qu’as-tu donc fait de mal pour te retrouver ici ?
Le garçon, du genre beau gosse, avait l’air sympathique et Jasmin Éthéré se sentait en confiance.
— Rien ! Ils m’ont enlevée dans un parc avant de me conduire ici ! Et toi ?
— Je suis là parce que je prépare l’avènement de la Grande Paix !
— Que veux-tu dire au juste ?
— Avec mes compagnons d’armes, nous comptons instaurer une société plus juste, dont les dirigeants agiront dans les intérêts du peuple. Les autorités nous pourchassent…
— De quoi ont-elles peur ?
— Que nous prenions le pouvoir…
— En quoi un but aussi noble que celui d’instaurer une société meilleure vaudrait-il d’être jeté dans un cachot ?…
— Ceux qui ont intérêt à ce que rien ne change - et ils sont nombreux ! - font tout pour nous abattre ! Aujourd’hui, nous ne sommes guère qu’une poignée, demain, nous serons des milliers de milliers !
— Des milliers de milliers ? souffla Jasmin Éthéré, abasourdie.
— Parfaitement ! Les grands feux commencent par des petites flammes… Nous préparons le renversement de la dynastie régnante. Le régime des Qing est aux abois. Tous les pouvoirs, lorsqu’ils se sentent menacés, essaient de tuer les révoltes populaires dans l’œuf. C’est la raison pour laquelle je me retrouve ici après avoir été capturé lors d’une embuscade tendue par les hommes de Liang. Cinq de mes compagnons d’armes y laissèrent la vie… Heureusement, notre chef a réussi à prendre la fuite… expliqua le prisonnier d’une voix qui vibrait d’émotion.
Il avait l’air tellement sympathique que la jeune femme décida de rompre la glace.
— Comment t’appelles-tu ? Moi, c’est Jasmin Éthéré.
— Enchanté, Jasmin Éthéré. Mon surnom de combat est Mesure de l’Incomparable. Dans notre organisation, qui a pour intitulé la Société des Adorateurs de Dieu, chacun doit prendre un nom d’emprunt. Pour des raisons de sécurité, il ne doit plus jamais prononcer le nom que lui ont donné ses parents. Moi, c’était Zhong… fit-il en souriant.
— Depuis quand es-tu enfermé ici, Mesure de l’Incomparable ?
— Huit jours et sept nuits… Le temps commence à me peser…
— Et qui est ton chef ?
Le visage de Mesure de l’Incomparable s’anima.
— Hong Xiujuan ! Loué soit-il. C’est un être supérieur. Il suit le Tao mais prêche aussi l’amour entre les hommes, à l’instar d’un certain Jésus-Christ, le Dieu vénéré par les nez longs chrétiens. Hong connaît l’art de se faire écouter par les foules. Il appelle de ses vœux le règne de la Grande Paix et souhaite rétablir la concorde sociale. Le jour où il accédera au pouvoir, chaque paysan disposera de la même étendue de surface cultivable…
— Tous les champs seront de taille égale ? lâcha-t-elle, incrédule.
— Parfaitement. Chacun aura droit à ce dont il a besoin. On donnera plus aux familles nombreuses qu’à celles où il n’y a qu’un enfant !
— Intéressant !
— Il m’a suffi d’entendre Hong exposer son programme pour être convaincu qu’il
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