La guerre de l'opium
Fille Claire , dont Tang lui lisait chaque soir des passages avant de passer aux travaux pratiques, lui revinrent en mémoire.
Entrer en Harmonie Suprême. Calmer sa respiration pour la rendre souple.
Tang prononçait toujours ces mots avec douceur, en même temps qu’il lui passait la main sur les seins. Ils résumaient à merveille l’état dans lequel elle se retrouvait après l’amour : calme, souple, bref, en Harmonie Suprême. Un état si exquis qu’à peine en était-on sorti qu’on avait envie de s’y replonger, comme on reprend une drogue…
Depuis qu’elle était partie de Pékin avec le prince et qu’il lui avait fait découvrir le Heqi, sa vie avait changé et elle n’était plus tout à fait la même. Elle avait découvert en quoi le corps humain, pour peu qu’il soit mis en situation de façon adéquate, est aussi une formidable machine à produire du plaisir pour soi-même et pour l’autre, son partenaire dans l’amour…
Des façons d’atteindre l’orgasme à l’unisson avec son amant, Jasmin Éthéré connaissait désormais tous les secrets. Grâce à son incroyable souplesse, elle était capable de mêler son corps à celui de Tang jusqu’à ne faire plus qu’un avec lui, comme les queues du dragon protéiforme lorsqu’il les entortille. De son côté, son amant lui avait appris comment, lorsque le plaisir monte en puissance, telle une onde marine qui part du fond de la mer pour aller éclater à proximité de la plage sous la forme d’une vague gigantesque et libératrice, il convient de retenir ses sucs vitaux - qu’on soit femme ou homme ! - pour garder en soi l’énergie nécessaire à la fusion des souffles du Heqi. C’est quand les barrages du désir sont près de rompre que les sensations sont les plus fortes. Pour ressentir ce qu’il y a de plus délectable, il fallait aller avec l’autre jusqu’à l’extrême bord de la jouissance et s’y laisser glisser doucement sans y tomber trop vite sous peine de voir l’acte s’accomplir et le plaisir s’achever. Susciter le désir et attendre le plaisir, puis le garder pour soi. Offrir à l’autre cette attente et tenir bon. Lui résister juste ce qu’il faut pour qu’il redouble d’excitation, pour que cette attente devienne délicieusement insupportable. Subtile partie de cache-cache où il fallait penser à son partenaire sans jamais s’oublier soi-même…
Tout cela, Tang avait su trouver les mots - et surtout les gestes ! - pour le lui expliquer dès leur première union, après qu’elle lui avait demandé pourquoi il ne s’était pas encore répandu en elle :
Tu ne peux contempler un beau lac que si tu es assise au bord de ses rives, pas si tu es déjà entrée dans l’eau.
Faire l’amour avec Tang était une fête subtile et délectable, à laquelle la jeune femme participait avec allant et qui recommençait tous les soirs.
Tang couvait désormais Jasmin Éthéré comme le plus précieux des trésors, au point que ses empressements commençaient à devenir pesants à la jeune femme. Elle se sentait un peu prisonnière de cet amant fougueux et ressentait parfois comme une tutelle ce qui n’était en réalité qu’un fol attachement amoureux de sa part.
Dans un couple, la double méprise finit par s’installer lorsque les sentiments ne sont pas strictement réciproques, parallèles et équidistants. Alors, s’ensuit la dérive des sentiments, qui est fort semblable à celle des continents : invisible, car souterraine ; irrémédiable, car portée par des forces telluriques que personne ne maîtrise ; pourvoyeuse, enfin, de ruptures et de tsunamis qui détruisent tout sur leur passage lorsqu’ils se déclenchent…
L’amour, le désir, le plaisir, les sentiments et autres alchimies de l’esprit ne sont rien d’autre que le résultat de la chimie du cerveau humain, celle-ci étant déjà, en soi - comment ne pas le souligner ? -, tout un poème… d’où la part essentielle de l’intellect dans les passions les plus physiques.
Depuis quelques semaines, les réactions chimiques du cerveau de Jasmin Éthéré se traduisaient par un certain agacement devant les manières de plus en plus possessives de Tang. Celui qui avait su la prendre avec douceur tendait à devenir un homme comme les autres, machiste et possessif ; un de ces hommes pour qui la femme est une servante, des bras pour s’acquitter des taches ménagères ou des travaux des champs, un ventre avec un utérus bon à
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