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La guerre de l'opium

La guerre de l'opium

Titel: La guerre de l'opium Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jose Frèches
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à ses yeux. Depuis qu’ils s’étaient réfugiés chez Roberts, sa mère vieillissait à vue d’œil, comme si le temps l’ayant prise pour cible avait décidé de s’acharner sur elle.
    Accablée, Laura baissa les yeux.
    —  Je vous ai rapporté du poisson frit, mes chéris   ! Spécialement pour toi, mon petit Joe… Je sais que tu aimes ça… dit celle-ci d’une voix lasse avant de filer à la cuisine, Joe aux anges et déjà à ses basques.
    Elle commença à s’affairer sous les yeux écarquillés d’émerveillement de son fils, qui semblait découvrir sa maman pour la première fois tellement il avait l’air étonné. Pour ne pas être en reste, Barbara Clearstone mettait un point d’honneur à préparer chaque soir le dîner du pasteur américain, une tâche dont Bambridge s’acquittait jusque-là et qu’elle avait laissée bien volontiers à sa rivale.
    Comme à l’accoutumée, tout autour de la longue table de la salle commune où les repas étaient servis, chacun se tint coi durant l’interminable bénédicité de Roberts qui s’achevait toujours par une longue liste de saints intercesseurs. À l’issue du prêche, Barbara constata que sa fille, d’habitude enjouée et prolixe, mangeait en silence, l’air fermé, ses beignets de poisson frit.
    —  La moisson d’aujourd’hui n’a pas été mauvaise, pas vrai, mademoiselle Bambridge   ? déclara Roberts qui avait pour habitude, en l’absence d’invités extérieurs, ce qui était le cas ce soir-là, de commenter leur journée d’apostolat avant de lever la fourchette.
    Trop contente d’être mise en valeur, son assistante se rengorgea.
    —  Nous avons distribué une cinquantaine de brochures, mon révérend. C’est le double de la semaine dernière   ! À ce train-là, le nombre de Chinois qui auront reçu la bonne nouvelle dépassera bientôt les trois mille.
    Bambridge se flattait de tenir une comptabilité fort précise du nombre de brochures qui étaient distribuées.
    —  Mais pensez-vous, monsieur Roberts, compte tenu du nombre d’analphabètes qu’il y a dans ce pays, que ces pauvres gens sont capables de les lire   ? s’enquit Barbara sans se rendre compte de l’énormité du pavé qu’elle venait de jeter dans la mare.
    Roberts fronça les sourcils et, agacé au plus haut point, s’écria :
    —  La faculté d’apprendre à lire est accessible à tous les hommes   ! Si les Chinois ne font pas cet effort minimum pour mieux connaître la parole du Christ, tant pis pour eux   ! Moi, je fais mon travail, à eux de faire le leur   ! Le paradis se mérite   ! Libre à eux de préférer l’enfer   !
    —  Les Chinois ont le Christ dans le sang   ! Je vous assure, mon révérend, qu’ils n’ont pas besoin de lire le catéchisme pour être imprégnés de sa parole   ! protesta l’épouse de Brandon.
    De sa part, ce n’était nullement de la provocation mais tout simplement une conviction. Tout ce qu’elle avait pu observer, depuis qu’elle fréquentait les temples taoïstes et confucéens ainsi que les pagodes, l’ancrait dans la certitude que les pratiques religieuses des Chinois ressemblaient fort à celles des Anglais, qu’il s’agisse des bâtonnets d’encens, si semblables aux cierges qui brûlaient dans les églises de Londres, des génuflexions et prosternations diverses devant les statues de Confucius et de Siddharta Gautama, ou encore du panthéon bouddhique. Les murs des pagodes offraient au regard les « dix mille divinités   » sous forme de bas-reliefs aux couleurs criardes où elle persistait à voir d’étranges similitudes avec le Jugement dernier tel qu’il est décrit dans le livre de l’Apocalypse.
    —  Comment pouvez-vous dire des inepties pareilles   ? Les Chinois sont à des années-lumière de la vérité divine   ! Ils sont à mille lieues de la parole du Christ, croyez-en mon expérience   ! Votre ferveur naïve et exaltée occulte votre jugement   ! lâcha le pasteur.
    —  Nous devons les aimer. Les nourrir et les vêtir. Ils souffrent dans leur chair… Comme le Christ a souffert… poursuivit Barbara Clearstone, imperturbable.
    Les propos de l’Anglaise avaient mis l’Américain dans une colère noire. Exténué par sa journée passée à commenter la brochure qu’il avait fait traduire en chinois et où figurait la liste des motifs pour lesquels il était urgent de se convertir au christianisme, assortie d’un bulletin d’inscription à

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