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La guerre de l'opium

La guerre de l'opium

Titel: La guerre de l'opium Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jose Frèches
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que, pour la première fois, elle l’entendit prononcer deux syllabes.
    —  Pa… pa   ! Pa… pa   !
    C’était bouleversant. Joe, l’enfant perpétuellement enfermé dans son mutisme et qui ne parlait que par grognements, éprouvait tellement le besoin de voir son père qu’il arrivait à l’exprimer   !
    —  Tu veux papa   ? fit-elle en s’efforçant de retenir ses larmes.
    —  Pa… pa   !
    Et voilà que Joe se mit à pleurer à son tour, lui qui ne versait jamais de vraies larmes ni n’arrivait à exprimer un sentiment quelconque. Laura, chamboulée à l’extrême, prenait soudain conscience que son frère n’était pas qu’un paquet de chairs dénué de raison, un pauvre infirme certes sensible mais privé de l’usage de son cerveau. Joe possédait bel et bien une capacité de raisonnement   ! Joe avait une âme et une conscience, et personne, jusque-là, ne s’en était vraiment soucié   !
    Et comme si cela ne suffisait pas à ses tourments, elle se rappela avec effroi qu’elle était allée jusqu’à s’imaginer que Joe ne se rendrait pas compte de son départ lorsqu’elle avait envisagé cette éventualité avec son amant   ! Elle s’en voulait d’avoir été aussi aveugle en accordant si peu d’importance à son frère. Elle était bel et bien indispensable à Joe, comme une mère l’est à son fils.
    Elle le prit dans ses bras et le berça comme un nourrisson. Preuve que ce traitement lui faisait le meilleur effet, Joe, à présent complètement calmé, regardait sa sœur avec un sourire. Laura se sentit honteuse.
    Ils restèrent un long moment dans les bras l’un de l’autre, le trisomique endormi et sa sœur le veillant.
    Lorsqu’elle entendit Issachar Jacox Roberts, Barbara Clearstone et Mélanie Bambridge qui se préparaient à partir prêcher comme tous les matins la « bonne nouvelle   », Laura décida de ne pas bouger. Les rares fois où elle avait accompagné sa mère, quand elle avait vu Roberts attirer les badauds en leur faisant distribuer des galettes de riz soufflé, elle avait été profondément gênée, pour ne pas dire choquée.
    Deux heures plus tard, Joe se réveilla et manifesta le désir de sortir. Sous la chaleur accablante, elle l’emmena promener sur le port. Son frère adorait le spectacle des bateaux à quai, grosses bêtes immobiles entourées par la sollicitude de milliers des matelots et de dockers, qui procédaient à leur chargement ou à leur déchargement. On y respirait l’air du monde. Expirer et inspirer. Avaler et cracher. Le commerce y accomplissait la digestion de ses échanges inégaux. Pour le plus grand profit des puissances occidentales, les navires vomissaient sur la terre de Chine - où elles seraient vendues à des tarifs exorbitants - leurs caisses d’opium indien et d’ustensiles manufacturés dans les usines d’Angleterre, avant d’ingurgiter les ballots de soie, les sacs de riz et les cartons remplis de porcelaines achetés à vil prix aux manufactures chinoises par les grandes compagnies européennes.
    Même si elle ne disposait pas des outils intellectuels lui permettant de mesurer précisément cette terrible injustice, le spectacle de ces pauvres coolies qui croulaient sous leurs lourdes charges était suffisant aux yeux de Laura pour la lui laisser subodorer.
    Ils passèrent de longues heures à déambuler devant les steamers, les goélettes, les flibots et les jonques, Joe l’air béat, agrippé à la main de sa sœur, poussant ses petits grognements de satisfaction et courant d’un navire à l’autre, Laura se traînant comme elle pouvait, supportant mal l’atmosphère suffocante et humide de ce début d’été. En fin d’après-midi, lorsqu’ils revinrent au presbytère, Laura était si épuisée qu’elle tenait à peine debout. Elle ne mit toutefois pas longtemps à constater que sa mère était absente, alors que Roberts et Bambridge étaient rentrés.
    —  Où est maman   ? lança-t-elle au pasteur, soudain folle d’inquiétude.
    —  Elle arrivera dans un quart d’heure. Elle a tenu à aller visiter une famille dont le père vient de mourir de dysenterie. Ces gens habitent tout près, lui répondit le baptiste américain avant de monter dans sa chambre pour se changer.
    Roberts ne dînait qu’en redingote.
    Un peu plus tard, lorsque Barbara, exténuée, apparut enfin, sa fille ne put qu’être frappée par la pâleur de son visage et le gonflement des poches qui étaient accrochées

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