La guerre de l'opium
un tableau du peintre John Partridge, la coqueluche de la gentry, et même par ces infatigables pur-sang anglo-arabes capables de tenir une journée entière à galoper pendant la chasse à courre. Toutefois, sachant qu’il ne chassait pas, qu’il n’avait que faire d’un portrait de sa personne par Partridge et qu’il possédait déjà deux appartements à Londres, l’un qu’il occupait et l’autre qu’il louait, Nash Stocklett comptait plutôt s’orienter vers l’achat d’un bois de rapport dans le Yorkshire, une région qu’il affectionnait particulièrement et dont était originaire la branche maternelle de sa famille.
— Félicitations, je suis heureux pour vous ! J’aurais dû m’intéresser aux colonies… comme vous… au lieu d’essayer de fourguer ma laine à ces porcs de Français !
— Oh ! mon cher, je ne suis qu’un minuscule rouage. Les héritiers de feu William Jardine et M. Matheson, lequel est toujours, vous pouvez m’en croire, bon pied bon œil, gagnent en une seule journée l’équivalent de mon malheureux bonus…
— Quand même, faire une telle fortune avec le commerce d’une matière aussi contestée que l’opium… Vos employeurs sont de véritables génies ! lâcha Homsley, rouge comme une pivoine mais sincèrement admiratif.
— Ma mère - paix à la belle âme de cette pauvre femme ! - disait toujours qu’il n’y a pas de sot métier… Et puis, ce n’est pas un commerce de tout repos. Une fois la marchandise à bord, il faut l’acheminer et surtout la vendre à bon prix. Et les Chinois sont, de ce point de vue, des négociateurs particulièrement retors… lâcha le chef comptable qui, pour la première fois, ne se contentait pas de répondre par bribes ou de façon très sibylline lorsque Homsley essayait de le faire parler de son travail.
— Si j’en crois mon expérience, les Français, c’est déjà pas mal… Si vous saviez ! Mon principal acheteur de tissu, un commerçant d’Abbeville, dont je sais par ailleurs qu’il est riche comme Crésus, se présente devant moi habillé presque comme un mendiant… Pour peu, on lui donnerait l’aumône. Avec ça, il est capable de négocier des heures… et il me ruine en infâmes repas français pantagruéliques alors que je n’aime que la cuisine anglaise bien de chez nous… marmonna Homsley, de plus en plus gris.
… pour habituer ces maudites faces jaunes à consommer cette substance, vous n’imaginez pas l’énergie que mes patrons durent déployer ! Quand ils fondèrent leur compagnie, ils firent même appel à un pasteur allemand du nom de Carl Gutzlaff, l’un des seuls étrangers à Canton qui parlait parfaitement chinois.
— Comme c’est étrange !
— Figurez-vous qu’ils embauchèrent ce prélat comme interprète à bord d’un bateau qui appareilla vers le Nord, en longeant la côte où il faisait escale à chaque port. Et là, pendant que ledit Gutzlaff faisait son prêche, Bible à la main, Jardine et Matheson faisaient fumer l’opium aux notabilités locales et tâchaient de recruter un correspondant chargé de vendre leur marchandise…
— De vrais génies, vos Écossais… souffla, des plus songeurs, Arthur Homsley, qui aurait volontiers choisi le commerce de l’opium au lieu et place de celui de la laine de mouton, même si Calais et Abbeville étaient des villes moins lointaines de Londres que Canton…
— C’est peu dire… de redoutables guerriers ! D’autant que la vente d’opium fut longtemps prohibée en Chine… du moins officiellement.
— Ici, c’est pareil… entre ce qui est officiellement interdit et ce qui est légalement toléré, la marge est souvent invisible ! On a beau dire, mais Jardine et Matheson, ils doivent tout de même avoir un sacré caractère pour s’être lancés dans une telle aventure ! soupira le marchand de laine.
— Je ne vous le fais pas dire. Dans l’entreprise, tous les employés craignent les colères de Matheson comme la peste. Avec M. Jardine - paix à son âme ! -, ça allait encore à peu près… il avait plus de self control . Mais M. Matheson… il démarre comme un pur-sang à la première caresse de la molette… je l’ai encore vu le mois dernier injurier un de mes jeunes commis aux écritures qui avait tardé à lui produire le document qu’il demandait.
— Les patrons sont tous les mêmes. Je le dis d’autant plus volontiers que moi-même, je
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