La guerre de l'opium
qui avait compris qu’il valait mieux remiser ses arums, Barbara avait été prise de sanglots irrépressibles, au point de mouiller les pointes de son étole de renard bleu. Une fois sur le trottoir où Nash l’avait conduite en lui tenant le bras, après lui avoir mis de force dans les mains un bouquet de violettes, la jeune femme s’était écriée d’une voix déchirante :
— Je suis mariée, Nash… C’est affreux ! Si nous étions tombés l’un sur l’autre il y a trois mois de ça, j’aurais été libre ! Quelle malédiction !
— Il n’est jamais trop tard, Barbara, mon unique amour ! Réjouissons-nous, au contraire, de ce qui nous arrive ! C’est la chance qui frappe à notre porte !
En cette fin d’après-midi où les bureaucrates quittaient leur travail, la foule était si dense qu’il leur était impossible de continuer à se parler tranquillement. Il l’avait suppliée de l’accompagner chez lui, dans le quartier universitaire, ce qu’elle avait accepté, et là, ce qui devait arriver s’était produit : désireux de faire ressurgir le passé, Ils avaient fait l’amour, lui comme un lion affamé, elle au début légèrement réticente avant de se donner à lui avec fougue sur la couchette étroite de la chambre Spartiate qu’il louait encore dans un meublé pour étudiants. Le bouquet de violettes chamboulé, trituré et malaxé par les mains fébriles de Barbara s’était répandu au pied du lit d’où il exhalait son odeur entêtante.
Après l’amour, elle lui avait serré le cou si fort qu’elle avait manqué de lui faire mal.
— Mon pauvre Nash, toi et moi, nous nous sommes mis dans de beaux draps… Nous sommes dans une impasse…
— Épouse-moi, Barbara !
— Mais j’ai un mari, Nash ! Un gentil garçon avec lequel je me suis unie devant le prêtre…
— Au diable les prêtres et toutes leurs fariboles ! Toi et moi, nous avons droit au bonheur.
— Je suis croyante, Nash… Il ne faut pas parler comme ça devant moi !
— Si tu m’avais laissé ton adresse en partant de Durham, c’est moi qui t’aurais demandée en mariage dès que j’aurais eu une paye ! Tu sais, avec ce que je gagne, j’aurais les moyens de me louer un vrai appartement. Si j’occupe encore ce logement d’étudiant, c’est parce que je n’ai pas eu le temps de m’occuper de trouver un logement digne de ce nom ! Demain, si tu viens habiter avec moi, nous aurons un beau quatre pièces sur les quais…
Elle s’était contentée de l’embrasser furtivement. Pensif, il l’avait observée se lever, rajuster son corsage et sa robe, prête à repartir. Ses joues et son cou étaient rouges, tellement il y avait frotté sa bouche et ses joues rugueuses.
— Je veux ton adresse, Barbara !
— Est-ce bien utile, Nash ? Ne vaut-il pas mieux en rester là ?
Il lui fallait à tout prix gagner du temps. Ne pas la perdre tout de suite. Mendier une nouvelle rencontre en espérant qu’elle finirait par céder…
— Je t’en supplie, voyons-nous au moins une fois encore. Ce sera la dernière.
Elle avait cédé, une fois, deux fois, se jurant que la fois suivante serait la dernière, mais chaque fois il la suppliait de la revoir encore une fois. Et pour Barbara l’engrenage s’était mis en marche. Lui était incapable de cesser de la voir, et elle n’arrivait pas à trouver la force de rompre avec lui.
Mais s’ils avaient fini par s’installer dans une liaison durable, Barbara Wilson, désormais épouse Clearstone, n’avait jamais voulu entendre parler de divorce. Arc-boutée sur ses principes moraux et religieux, elle refusait obstinément une telle éventualité. De son côté, Nash, dont les aventures sexuelles s’étaient bornées à aller voir, deux ou trois fois par mois, les prostituées de tout âge et de tout style que comptait la capitale de la couronne britannique, n’avait pas renoncé à épouser Barbara, persuadé que le temps la ferait changer d’avis en douceur.
Brandon Clearstone, son mari, dirigeait une petite fabrique de pianos léguée par son père. Dans la famille, on était facteur d’instruments à clavier de père en fils. L’atelier de fabrication était situé à Greenwich, ce qui obligeait Brandon à y passer la semaine et à ne rentrer à Londres que les week-ends, si bien que les amants n’éprouvaient aucune difficulté à se retrouver quand bon leur semblait, soit chez l’un, soit
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