La guerre de l'opium
bronze, sur les panses desquels étaient gravés les grands codes immémoriaux sur la bonne façon de gouverner, accueillaient le visiteur. Ces récipients rituels, dont certains pouvaient atteindre la taille d’un homme, avaient été collectionnés par les empereurs Ming qui les achetaient des fortunes aux pilleurs de tombes. Leurs successeurs mongols s’étaient bien gardés de s’en débarrasser et les avaient annexés sans vergogne en faisant graver leurs noms en lieu et place de leurs signataires originels.
Le visage du prince Tang se rembrunit lorsque, après être entré dans le cabinet de travail de Daoguang, la pièce la mieux gardée de ses appartements privés, située juste à côté de sa chambre à coucher, il comprit pourquoi Toujours Là avait éludé sa question : du Fils du Ciel, il n’y avait nulle trace.
Ce n’était pas forcément bon signe : lorsque l’empereur souhaitait annoncer des nouvelles désagréables à l’un de ses obligés, il les faisait toujours dire par personne interposée.
À la grande surprise de Tang, Élévation Paradoxale s’éclipsa et Toujours Là alla se poster devant une somptueuse claustra d’albâtre enchâssée dans du bois de cèdre, cadeau de l’Empire ottoman que l’empereur Daoguang se plaisait à faire admirer à ses collaborateurs en les poussant d’un geste ferme vers cette extraordinaire carte du Ciel dessinée par le plus grand des astrologues de Constantinople.
— Le Fils du Ciel est parti à la chasse au cerf hier après-midi. Il a souhaité que je te fasse part de son courroux !
Même s’il était quelque peu soulagé de ne pas avoir à rendre des comptes au souverain lui-même, le prince Tang avait du mal à cacher sa colère devant la grossièreté du procédé destiné à lui faire croire que l’empereur le recevrait personnellement et qui l’avait conduit à interrompre toutes affaires cessantes son tête-à-tête avec Jasmin Éthéré.
— Décidément, je n’ai pas de chance. C’est la troisième fois que le Fils du Ciel me convoque alors qu’il n’est même pas là… Pourquoi ne pas me l’avoir dit dès l’entrée de la Cité Pourpre ?
— Tu connais l’étiquette comme moi ! Lorsque Daoguang s’exprime par personne interposée, celle-ci doit toujours le faire dans son cabinet de travail ! D’ailleurs, si ça n’était pas le cas, tu serais en droit de te demander si je parle vraiment au nom du Tout- Puissant Fils du Ciel !
— Qu’ai-je donc fait de mal ? ne put s’empêcher de crier Tang, piqué au vif.
— C’est très simple : tu ne vas pas assez vite en besogne ! susurra l’eunuque, semblant éprouver un malin plaisir à sortir le couteau qu’il s’apprêtait à remuer dans la plaie de son interlocuteur.
— Il me semble déjà avoir entendu cela de ta bouche, au cours de notre dernier entretien… Je te le répète : je fais au mieux ! maugréa le noble Han.
L’eunuque, dressé sur ses cothurnes comme un coq sur ses ergots, ressemblait à un vieux dindon en colère dont le cou décharné jaillissait du plumage, en l’espèce sa longue robe de soie rouge, ornée de broderies criardes d’Oiseaux de paradis stylisés.
— Voire ! Les caisses de l’État se vident à vue d’œil. Bientôt, le Fils du Ciel n’aura même plus de quoi payer ses mercenaires. Alors, les armées risquent de mordre le bras qui les nourrit ! Daoguang ne se fait aucune illusion à ce sujet…
Tang faillit répondre que ce n’était là rien que de très normal en raison de l’incapacité des Mandchous à organiser des armées dignes de ce nom, mais il se ravisa et pensa à Jasmin Éthéré qui l’attendait dans sa chambre. S’il voulait être vite auprès d’elle, le mieux était encore d’avaler son orgueil et de faire profil bas.
— Depuis que nous nous sommes vus, je ne suis pas resté inerte, j’ai œuvré…
— Qu’as-tu fait ?
— Conformément au souhait du Fils du Ciel, j’ai ordonné qu’on passe par les armes celui qui protégeait le môme ! murmura, mal à l’aise, Tang le Beau, avant d’ajouter, d’une voix sinistre, dans un soupir et après un long silence : Les Dix Mille Couteaux lui ont été administrés…
— Je sais ! Je connais même le nom du bourreau qui s’en est chargé.
— Si tu sais tout, pourquoi me convoquer ? ne put s’empêcher de lâcher Tang.
L’eunuque alla se poster devant la monumentale carte de
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